Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tude ou la marche du cabinet de Washington, ou les mouvemens de cette race turbulente qu’il est souvent, nous le reconnaissons, impuissant à contenir, et qui au contraire a la prétention d’entraîner son gouvernement, en faisant violence à la sagesse des hommes d’état, dont ses clameurs étouffent la voix ? Non certes, nous ne le croyons pas, et loin de là malheureusement l’expansion de l’élément anglo-américain dans le Nouveau-Monde et sa réaction sur l’ancien sont destinées à nous préoccuper de jour en jour plus sérieusement. Examinons en effet ce qui se passe ou ce qui se prépare au Mexique et dans l’Amérique centrale, et nous verrons combien avance dans ces contrées un travail d’absorption favorisé par l’infériorité physique et morale des populations d’origine espagnole, que le mélange du sang indien et du sang africain a si tristement abâtardies.

Quel est le trait dominant de la dernière révolution mexicaine ? au profit de qui semble-t-elle avoir été faite ? quelle est l’influence extérieure qui triomphe avec les démocrates ou puros de Mexico ? À voir l’attitude protectrice, à entendre le langage du général Gadsden, c’est la diplomatie du cabinet de Washington qui l’emporte, et les principes de la république modèle étendent leur empire sur un peuple à qui tous ses instincts, toutes ses traditions, toutes ses habitudes et ses institutions sociales conseillent ou imposent un autre système politique. Le général Alvarez est élu président intérimaire ; le ministre des États-Unis prend aussitôt les devans sur le reste du corps diplomatique pour lui offrir le premier des félicitations enthousiastes, pour s’identifier, sans prudence comme sans réserve, avec la domination d’un parti violent et exclusif, pour subordonner en quelque sorte le maintien des relations amicales entre les deux pays, — et on sait ce que cela veut dire, — à la forme et à l’esprit du gouvernement qu’aura le Mexique. Le nouveau président, malgré son inexpérience, a paru, il faut l’avouer, plus embarrassé que flatté de ces offres d’amitié si brusques ou plutôt si impérieuses, et sa réponse, sans être fière ni défiante, a été convenable. On croirait assister à une seconde représentation, sur un autre théâtre, de la pièce jouée à Madrid entre M. Soulé et les révolutionnaires espagnols, dont le ministre américain n’a pas eu meilleur marché que des hommes d’état du parti contraire. Mais peu importe au fond que déjà, soit haine instinctive contre les étrangers, soit vague sentiment de ses devoirs envers la nationalité dont il est le représentant éphémère, le général Alvarez se tienne en garde contre la prépotence américaine : ce n’est pas tel ou tel homme qui fera au Mexique les affaires de l’ambition des États-Unis ; c’est la révolution et l’esprit révolutionnaire. Voilà ce qui appauvrira, désorganisera, ruinera le Mexique ; voilà ce qui en fera pour ses voisins une proie assurée, quand il n’aura plus de finances, plus d’armée, plus d’administration, quand le corps social sera dissous comme le corps politique, et quand l’annexion pourra seule défendre contre la barbarie et le brigandage les derniers restes d’une civilisation aux abois.

Le ministère du général Alvarez annonce hautement l’intention de séculariser le clergé et de confisquer ses propriétés, qui sont considérables. La presse radicale, — et c’est comme toujours, en pays espagnol, la seule qui fasse entendre sa voix dans le lâche silence des opinions conservatrices, — y pousse le gouvernement nouveau avec une extrême violence et à grand renfort de