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« Heureux est le poète errant et militaire
Qui porte en sa giberne une Bible, un Homère !
À la voix du clairon, à la voix du tambour,
Mêlant ses chants guerriers, il va de bourg en bourg ;
Ou par-delà les mers et les grandes montagnes,
S’il court chercher l’honneur des lointaines campagnes,
À travers la fumée et le feu du canon,
Deux fois, soldat-poète, il ennoblit son nom ! »
Ardent tumulte, heureux qui vous a pu connaître !

Mais un maître nouveau, d’après un ancien maître,
L’a dit, et cheminant sous les arbustes verts,
Par sa prose inspiré, je hasarde ces vers :

« Le poète d’élite et sans veine banale,
Brisant des mots usés l’empreinte triviale,
Le poète sincère et qui se fait aimer,
Tel que je le conçois sans pouvoir l’exprimer :
Ce qu’il faut, avec l’art, pour former ce poète,
C’est un esprit exempt de pensée inquiète,
Sans prévoyance amère et sans amers regrets ;
C’est une âme sereine, éprise des forêts,
Et qui peut avec vous, ô muses adorées,
Librement s’abreuver aux fontaines sacrées[1]. »


II


Oh ! j’arrive ! — Avec vous qu’il fait bon voyager,
Muses ! comme le cœur, le pied devient léger.
Quel immense tableau montre cette terrasse !
Hirondelle, on voudrait s’élancer dans l’espace.
O splendide vallon, vers toi je tends les bras !
Mes yeux à l’admirer ne se lasseraient pas.

Mais j’aperçois, filant sur un monceau d’ardoise,
La vieille de l’hospice et qui s’appelle Ambroise :
— « Notre belle rivière, aussi vous l’admirez !
Ceux qui sans perdre haleine ont monté ces degrés,
S’arrêtent comme vous en extase, et moi, vieille,
Je me sens rajeunir devant cette merveille.
Avec mon des voûté sous mes quatre-vingts ans,
Femme de Châteaulin, rarement j’y descends.

  1. Pour ces vers de Juvénal, lire la belle traduction de M. Villemain dans son rapport à l’Académie Française du 30 août 1855.