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rencontrèrent et prirent la misérable barque et la menèrent à l’île de Wight. Là Mme de Chevreuse fut reconnue, et comme on la savait l’amie de la reine d’Angleterre, les parlementaires n’étaient pas éloignés de lui faire un assez mauvais traitement et de la livrer à Mazarin. Heureusement elle rencontra comme gouverneur à l’île de Wight le comte de Pembrock, qu’elle avait autrefois connu. Elle s’adressa à sa courtoisie[1], et, grâce à son intervention, elle obtint à grand’peine des passeports[2] qui lui permirent de gagner Dunkerque et de là les Pays-Bas espagnols.

Elle s’établit quelque temps à Liège, s’appliquant à maintenir et à resserrer de plus en plus entre le duc de Lorraine, l’Autriche et l’Espagne, une alliance qui était la dernière ressource des Importans et le dernier fondement de son propre crédit. Cependant Mazarin avait repris tous les desseins de Richelieu, et comme lui il s’efforçait de détacher le duc de Lorraine de ses deux alliés. Le duc était alors éperduement épris de la belle Béatrix de Cusance, princesse de Cantecroix. Mazarin travailla à gagner la dame, et il proposa à l’ambitieux et entreprenant Charles IV de rompre avec l’Espagne et d’entrer en Franche-Comté avec le secours de la France, lui promettant de lui laisser tout ce qu’il aurait conquis. Il parvint à mettre dans ses intérêts la sœur même du duc Charles, l’ancienne maîtresse de Puylaurens, la princesse de Phalzbourg, alors bien déchue, et qui lui rendait un compte secret et fidèle de tout ce qui se passait autour de son frère. Mazarin lui demandait surtout de le tenir au courant des moindres mouvemens de Mme de Chevreuse ; il savait qu’elle était en correspondance avec le duc de Bouillon, qu’elle disposait du général impérial Piccolomini par son amie Mme de Strozzi, et même qu’elle avait gardé tout son crédit sur le duc de Lorraine, malgré les charmes de la belle Béatrix. À l’aide de la princesse de Phalzbourg, il suit toutes ses démarches, et lui dispute pied à pied l’incertain Charles IV, quelquefois vainqueur, fort souvent battu dans cette lutte mystérieuse[3].

L’avantage demeura à Mme de Chevreuse. Son ascendant sur

  1. Archives des affines étrangères, FRANCE, t. CVI, p. 162. Lettre de Mme de Chevreuse à M. le comte de Pembroc, de l’Ile d’Ouit, du 29 avril 1645.
  2. Archives des affaires étrangères, t. CIX, Gandin à Servien, 20 mai 1645 : « L’on écrit d’Angleterre que Mme de Chevreuse est encore à l’île de Wick, que messieurs du parlement ne lui ont voulu vailler navire ni passeport pour passera Dunkerque, etc. » — Bibliothèque Mazarine, lettres françaises de Mazarin. folio 415, 22 juillet 1645 : « On peut juger, dit Mazarin., si on a une grande haine pour Mme de Chevreuse, puisque, lorsqu’elle était au pouvoir des parlementaires d’Angleterre, ils ont offert de la remettre entre nos mains, et on ne s’en est pas soucié. »
  3. Bibliothèque Mazarine, lettres françaises de Mazarin à Mme la princesse de Phalzbourg.