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nous avons parlé, et qui lui étaient entièrement dévoués. Un complot avait été formé et toutes les mesures concertées pour surprendre et tuer le cardinal.


IV.

Ne nous étonnons pas trop d’une semblable entreprise de la part de deux femmes et d’un petit-fils d’Henri IV. À cette grande époque de notre histoire, entre la ligue et la fronde, l’énergie et la force étaient les traits distinctifs de l’aristocratie française. La vie de cour et une molle opulence ne l’avaient pas encore énervée. Tout alors était extrême, le vice comme la vertu. On attaquait et l’on se défendait avec les mêmes armes. On avait massacré le maréchal d’Ancre ; plus d’une fois on avait, voulu assassiner Richelieu ; lui, de son côté, ne se faisait pas faute de dresser des échafauds. Mme de Chevreuse était depuis longtemps accoutumée aux conspirations : elle était audacieuse et sans scrupule ; elle ne s’était pas entourée de Beaupuis, de Saint-Ybar, de Varicarville, de Campion, pour passer son temps en discours inutiles. Elle n’était pas restée étrangère aux desseins qu’ils avaient autrefois tramés contre Richelieu ; en 1643, elle fomenta, comme nous l’avons dit, leur exaltation et leur dévouement, et c’est avec raison, selon nous, que Mazarin lui attribue la première pensée du projet que devait exécuter Beaufort.

Bien entendu, les Importans et leurs héritiers les frondeurs nient ce projet et le donnent pour une invention du cardinal. La Rochefoucauld, sans avoir partagé les folles espérances de ses amis et mis la main dans leur téméraire entreprise, se fait un point d’honneur de les défendre après leur déroute et s’applique à couvrir la retraite. Il affecte de douter si le complot qui fit alors tant de bruit était véritable ou supposé. Selon lui, le plus vraisemblable est que le duc de Beaufort, par une fausse finesse, tenta de faire prendre l’alarme au cardinal, croyant qu’il suffisait de lui faire peur pour l’obliger à sortir de France, et que ce fut dans cette vue qu’il fit des assemblées secrètes et leur donna un air de conjuration. La Rochefoucauld se fait surtout le chevalier de l’innocence de me de Chevreuse, et il se déclare très persuadé qu’elle ignorait les desseins du duc de Beaufort. Après l’historien des Importans, celui des frondeurs tient à peu près le même langage, domine La Rochefoucauld, Retz n’a qu’un but dans ses mémoires : c’est de se donner un air capable et de faire une grande figure en tout genre, en mal comme en bien. Il est souvent plus véridique, parce qu’il a encore moins de ménagemens pour les autres, et qu’il est plus disposé à sacrifier tout le monde, lui seul excepté. Nous ne concevons pas ici sa retenue ou son incrédulité. Il savait fort bien que la plupart des gens accusés d’avoir pris part à