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n’aura pas trouvé votre esprit trop disposé à faire cette liaison, tant parce que vos principaux amis de France ne sont pas fort bien avec lui qu’à cause qu’il paroit fini avec la famille de feu M. le cardinal. Pour moi, le conseil que je prends la liberté de vous donner sur ce sujet est que vous ne preniez aucune résolution à fond que vous n’ayez vu la reine, sur les sentimens de qui vous aurez joie de régler votre conduite, à cause du zèle que je sais que vous avez pour elle et de l’amitié qu’elle a pour vous. Je sens bien, de l’humeur dont je vous connois, que j’aurai plus de peine à vous retenir qu’à vous pousser, vu l’amitié que vous m’avez fait l’honneur de me témoigner pour une certaine personne (évidemment Châteauneuf) ; car hors cette considération et celle de beaucoup de gens d’honneur engagés dans le même vaisseau, je ne vois pas qu’il soit nécessaire de perpétuer une haine et de la faire aller par-delà la mort de nos ennemis. Je n’aimois pas M. le cardinal, mais je ne veux mal à aucun de sa race. Après tout, madame, ce que je pourrais vous mander n’est pas la vingtième partie de ce que j’aurai à vous dire, et j’ose vous assurer que dès Péronne vous serez aussi instruite des sentimens de la plupart du monde que si vous étiez à Paris. » Mme de Chevreuse écouta ses trois amis, promit de suivre leurs conseils et les suivit en effet, mais dans la mesure de son caractère et dans celle de l’intérêt du parti qu’elle servait depuis longtemps et qu’elle ne pouvait abandonner. Comme la reine montra beaucoup de joie de la revoir, elle ne remarqua pas de différence dans les sentimens d’Anne d’Autriche, et elle se persuada que sa présence assidue lui rendrait bientôt son ancien empire.


II

La première chose que se proposa Mme de Chevreuse fut le retour de Châteauneuf. La Rochefoucauld nous fait ici de l’ancien garde des sceaux un portrait un peu flatté, sans l’être trop, où il laisse entrevoir quel gouvernement ses amis, les Importans, voulaient donner à la France : c’est celui que rêvèrent plus tard les premiers frondeurs et plus tard encore les amis du duc de Bourgogne, les derniers Importans du XVIIe siècle. « Le bon sens et la longue expérience dans les affaires de M. de Châteauneuf, dit La Rochefoucauld, étoient connus de la reine. Il avoit souffert une rigoureuse prison pour avoir été dans ses intérêts ; il étoit ferme, décisif, il aimoit l’état, et il étoit plus capable que nul autre de rétablir l’ancienne forme du gouvernement que le cardinal de Riehelieu avoit commencé à détruire. Il étoit de plus intimement attaché à Mme de Chevreuse, et elle savoit assez les voies les plus certaines de le gouverner. Elle