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environné de rivaux et d’ennemis, toute sa force était dans la reine. Il s’appliqua donc par-dessus toutes choses à pénétrer dans son cœur, comme aussi l’avait tenté Richelieu ; mais il possédait bien d’autres moyens pour y réussir. Le beau et doux cardinal réussit donc. Une fois maître du cœur, il dirigea aisément l’esprit d’Anne d’Autriche, et lui enseigna l’art difficile de poursuivre toujours le même but à l’aide des conduites les plus diverses, selon la diversité des circonstances. »

Mais combien ne fallut-il pas à Mazarin de temps et de soins pour amener là Anne d’Autriche et triompher peu à peu de ses scrupules de toute sorte ! L’histoire des progrès de Mazarin dans le cœur de la reine est l’histoire véritable des trois premiers mois de la régence. Anne commença par se résoudre sans répugnance, le 18 mai 1643, à garder, pour quelque temps au moins, le ministre que lui laissait et lui recommandait Louis XIII. On verra où elle en était arrivée le 2 septembre de la même année.

Il lui était impossible de conserver la disposition de la déclaration royale qui établissait Mazarin premier ministre, chef du conseil sous M. le Prince, puisqu’elle voulait faire casser par le parlement toute cette partie du testament du feu roi, comme limitant, contre tous les usages, l’autorité de la régente. Il fut donc convenu, dans des conciliabules préliminaires, que Mazarin renoncerait à l’espèce de droit que lui donnait la déclaration royale, mais qu’en même temps la régente, dégagée de toute entrave, lui offrirait spontanément à peu près le même rang, en sorte qu’il tiendrait son pouvoir, non de la volonté du roi défunt, mais de la libre faveur de la reine. Tout cela fut arrêté entre eux dans un tel secret que la surprise fut fort grande et générale lorsque, le 18 mai, on vit le parlement investir la régente de l’autorité souveraine, et le même jour le cardinal Mazarin mis à la tête du cabinet. Il y avait eu là une trame habilement ourdie que la reine avait cachée à tous ceux de ses amis qui étaient opposés à Mazarin. Et dès ce jour aussi le cardinal put reconnaître qu’il avait trouvé dans la reine Anne, en fait de dissimulation et de conduite politique, une écolière digne de lui et déjà très avancée.

Mazarin s’établit de bonne heure auprès d’Anne d’Autriche par le double talent d’homme d’état laborieux et infatigable et de courtisan consommé. Il prit sur lui tous les soucis du gouvernement, et lui renvoya l’honneur des succès qui ne se firent pas attendre. Il mit une adresse et une constance merveilleuse à l’éclairer sans jamais la blesser. Son grand art fut de lui persuader qu’il ne voulait du pouvoir que pour la mieux servir ; qu’étranger, sans famille et sans amis, il dépendait entièrement d’elle et voulait tirer d’elle seule tout son