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lui appartenir. Rien de plus gracieux que les coupes de craquelé de MM. Meyer, dans le blanc surtout ; on dirait que le verre est tapissé d’une légère couche de glace, comme il s’en dépose sur les vitres par les grands froids ; le comte Harrach avait aussi des craquelés et deux magnifiques vases rouges d’une forme parfaite et de la plus belle couleur. Il ne faut pas oublier la Bavière, dont les services en dorure vermiculée attiraient l’attention des curieux.

Dans la céramique, une fois Sèvres mis hors de concours, c’est l’étranger qui l’emporte : la Saxe pour les articles de prix, l’Angleterre et la Belgique pour les articles de fabrication courante. Nous sommes loin du temps où l’art du potier s’exerçait sur la plus humble matière, et où l’argile s’animait sous ses doigts. Ni les vases étrusques, ni les majoliques de Pise, ne feraient fortune aujourd’hui, où l’on consomme des services par douzaines et uniformes dans leurs dispositions. C’est là le triomphe de l’industrie anglaise, qui a toujours des assortimens prêts et expédie de la porcelaine au monde entier et au plus juste prix. Il ne faut pourtant pas se montrer injuste envers M. Minton, qui est l’un des plus importans et des plus habiles pourvoyeurs que l’on connaisse. Dans le cercle de ses opérations et sans faire à l’imagination une part trop grande, il a su étudier l’antique et se mettre à la recherche de procédés qui semblaient perdus. S’il n’a pas chez lui de Palissy, il a des artistes qui s’appliquent à varier les formes de ses produits, et dont l’habileté contribue à la fortune de son établissement. On a pu en voir la preuve dans ses vases en camaïeu ou gros bleu, à médaillon, dans ses porcelaines et ses biscuits, dans ses carreaux incrustés en diverses couleurs, et surtout dans ses imitations des majoliques florentines. M. Copeland le suit de près et cherche à copier le vieux sèvres ; mais où M. Minton l’emporte, c’est dans la production d’articles usuels à des prix qui semblent impraticables, tant ils sont réduits. La Saxe elle-même ne pourrait descendre plus bas, et la Belgique s’efforce en vain d’y arriver. Auprès de ces puissances de la céramique, nos établissemens privés pâlissent nécessairement. Ils ont marché sans doute, et qui ne marcherait pas au milieu du mouvement universel ? mais ils l’ont fait lentement, avec beaucoup de précautions, comme on peut le faire lorsqu’on a des débouchés réservés, une clientèle sûre et qui ne peut échapper. Là est le motif le plus réel de notre infériorité. Notre industrie céramique manque d’audace, parce que l’audace n’est pas une condition essentielle de son existence et qu’elle peut s’en passer. Quand par occasion elle en montre, c’est pour fatiguer le gouvernement de ses plaintes et pousser des cris d’alarme à la moindre menace d’une rivalité imprévue. Elle prend goût à sa position ; elle aime ses aises et ne veut pas s’en départir.