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seraient nécessaires. Il faudrait que ces expositions nationales ou générales réunissent tous les manufacturiers éminens, il faudrait en outre qu’elles fussent sincères. Or c’est là ce qui n’arrive jamais. D’un côté, beaucoup de fabricans qui ont une réputation acquise et un travail assuré ne se résignent pas à se laisser discuter ni à courir la chance d’être appréciés au-dessous de leur valeur. Ils redoutent ou dédaignent une lutte où l’effervescence des vanités tient une trop grande place, se défient des lumières et de l’impartialité des juges du camp, des surprises de l’opinion, des manœuvres et des brigues inévitables dans de semblables mêlées. D’un autre côté, les exposans n’apportent pas tous, dans la production de leurs titres, une bonne foi égale. S’il en est qui se présentent avec les fruits ordinaires de leur industrie, il en est d’autres, et en grand nombre, qui se prévalent de travaux d’exception, d’œuvres de laboratoire dont on ne trouverait pas les équivalens dans leurs ateliers, quelquefois même d’objets empruntés pour la circonstance. C’est ainsi que le but le plus essentiel échappe, et qu’au lieu d’être l’expression exacte des forces relatives de l’industrie, une exposition n’en est bien souvent que la représentation infidèle.

Dans les expositions générales et notamment dans celle qui vient de finir, il s’est produit d’autres inconvéniens et d’autres obstacles à une bonne justice distributive. Voici lesquels : des expositions officielles ou collectives y ont été admises à côté des expositions individuelles. Comme effet et ornement, rien de mieux, pourvu qu’on eût assigné aux premières un ordre à part et qu’on les eût placées hors de concours. On les a jugées et récompensées les unes et les autres au même titre et sur le même pied, et c’est une faute. Des chambres de commerce, des administrations publiques, des comités formidables, comme celui de Manchester, ont été pesés dans la même balance que des manufacturiers isolés, et dans cette lutte des unités contre les groupes, l’issue n’était pas difficile à prévoir : les groupes ont écrasé les unités, et en fait de récompenses du premier ordre ont obtenu la part du lion. Qui aurait osé la leur disputer ? quel fabricant aurait la prétention de s’égaler aux grands ateliers que l’état alimente, aux corps administratifs de la France et des autres payss à n’y avait pas là de combat possible, et partant point de vainqueur à proclamer. Qu’en raison de ces travaux d’un ordre supérieur on eût créé une classe à part, une récompense spéciale, on le comprendrait ; ce qui se comprend et se justifie moins, c’est qu’on les ait confondus avec ceux des autres exposans et mesurés sur la même échelle. Entre l’industrie libre et l’industrie officielle, il n’y a ni identité ni rapprochement possibles ; les prix, les qualités, les moyens d’exécution diffèrent : c’est comme deux mondes opposés.