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de l’ennemi, un mouvement fort opportun. Cet escadron était commandé par Régis. Au milieu de la mêlée, car ce jour-là il y eut une mêlée véritable, tandis que les obus éclataient, que les boulets sifflaient, que même çà et là quelques caissons se mettaient de la partie, en sautant avec toute leur cargaison de poudre et de ferraille, les hommes trouvaient moyen de se joindre, et les sabres de se heurter. Fœdieski crut distinguer, dans un groupe de cavaliers russes, une figure bien connue ; il lui fut bientôt impossible d’avoir un doute : c’était lord Wormset, qui, semblable à beaucoup de ses compatriotes, suivant ses instincts de gentilhomme plutôt que ses devoirs de général, s’était mis dans cette bagarre. Avec la curiosité intrépide qui caractérise la race britannique, il avait voulu accompagner le plus loin possible les régimens qui chargeaient ; puis la charge l’avait entraîné, et son cheval, on sait ce que la poudre fait des chevaux anglais, s’était laissé tout entier posséder par le démon des batailles. Enfin il allait perdre la vie ou tout au moins la liberté, quand Fœdieski l’aperçut. En quelques instans, le hussard l’eut délivré. Deux heures après cet incident, — on se rappelle combien l’affaire de Balaclava fut rapide, — lord Wormset était remis par son libérateur entre les mains de lady Jessing. Il avait reçu au bras une blessure qui n’offrait aucune gravité, mais qui lui faisait perdre beaucoup de sang.

Avant même que le combat fût fini, Arabelle était montée à cheval et s’était approchée le plus qu’elle avait pu du théâtre de l’action. Au moment où Fœdieski la rejoignit, un boulet à la fin de sa course vint tomber aux pieds de son cheval. Elle attacha sur le projectile un regard calme et profond : elle ressemblait, avec son pâle visage empreint d’une altière mansuétude, à cette femme de Raphaël qui écrase le serpent ; mais quand elle aperçut Régis, — ce fut lui qu’elle vit le premier, — ses joues se colorèrent, ses lèvres frémirent ; un élan de bonheur emporté, en revoyant son amant, s’était emparé de son cœur. Son expression de joie fit sur-le-champ place à une expression de douleur et d’inquiétude : « Déjà punie ! » se dit-elle en voyant lord Wormset tout couvert de sang.

Bientôt ce furent des émotions nouvelles : lord Wormset n’était pas en danger, et le sort l’avait fait à jamais l’obligé de Régis. Arabelle fut tentée de croire que le ciel protégeait son amour, quand elle fut arrachée bien cruellement à cette pensée.

— Lord Lindston vient de tomber à mes côtés, lui dit son beaupère. Cela m’a causé une douloureuse émotion. Il était fils unique et laisse une veuve ; mais je connais lady Lindston, c’est une noble créature : elle saura porter jusqu’au tombeau son deuil et son nom.

Du reste Fœdieski n’eut pas à se plaindre. Celui qu’il avait sauvé n’était pas homme à regarder la reconnaissance comme un embarras