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les charmes victorieux de la vertu. Malgré ce qu’il avait d’impropre aux fatigues d’une campagne, lord William Jessing avait voulu venir en Orient avec un régiment où, depuis son enfance, il possédait une compagnie. Sa femme avait décidé qu’elle le suivrait. Maintenant qu’il était mort, elle ne regardait point sa pieuse mission comme finie. Arabelle avait pour son beau-père, lord Wormset ne put s’empêcher de le dire avec une certaine complaisance, une sorte de culte enthousiaste ; désormais c’était à le consoler qu’elle se vouait. L’honnête et éloquent Anglais termina son apologie par ces paroles dites avec une profonde émotion : — Malgré ce que ses préoccupations ont toujours eu d’austère, rien de moins sec et de moins froid que l’esprit de lady Jessing. Ma chère Arabelle a une piété ardente, et il y a tant de grâce en elle, que parfois elle trouble de l’encens catholique ma raison protestante. Puis, comme moi, elle aime les arts, les travaux et les jeux de la pensée. Le tableau d’un grand maître la captive, certaines harmonies l’enlèvent à ce monde, et enfin (il ne put s’empêcher de sourire en ajoutant ces mots, parce qu’il savait quel ordre d’idées il allait éveiller chez Fœdieski) les luttes même de notre tribune ne la trouvent point glacée.

À ces dernières paroles en effet, le capitaine de hussards laissa paraître sur ses traits une expression assez étrange. Régis semblait dire qu’il se défiait un peu d’une sainte occupée de politique ; mais tout à coup son regard ne laissa plus voir qu’une admiration profonde. Lady Jessing venait d’entrer.

Elle était belle à s’emparer sur-le-champ d’un cœur, surtout d’un cœur comme celui dont il est question ici. Elle avait, comme les visionnaires, toute une atmosphère autour d’elle, où l’on sentait les inquiétantes délices d’une vie inconnue. Ses cheveux étaient blonds, mais ce n’était pas ce blond vénitien rempli d’ardeurs sensuelles comme une grappe mûrie au soleil. Sa chevelure (qu’on me pardonne cette image d’un mysticisme un peu bizarre, je la donne ainsi qu’elle naquit dans une cervelle polonaise), sa chevelure avait fait d’avoir essuyé les pieds de Jésus ; on eût dit qu’en la pressant, il devait en sortir, au lieu de ces larmes voluptueuses qui tombaient des cheveux de la Vénus marine, les pleurs de ces afflictions qui n’ont ni leur fin ni leur origine en ce monde. Ses yeux d’un bleu pâle, où tremblait une lumière, étaient chargés d’une toute puissante rêverie. Sa bouche était bien terrestre : elle était d’un rose vif. Voilà ce qu’elle avait d’une fille d’Eve. Je donne avec une exactitude minutieuse jusqu’aux moindres impressions de Fœdieski.

On lui présenta le hussard ; elle l’accueillit par ces phrases engageantes qui savent parfois donner à la causerie de la première heure mieux que le charme des plus longues intimités. — Elle le