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que des chèvres. Aujourd’hui les fermes et les habitations s’y succèdent. Ces maisons ont un air d’élégance et de propreté. Les premiers colons logeaient dans des trous creusés sous la terre, les terriers ont bientôt été remplacés par des cabanes, et les cabanes par de jolies maisons de brique. Il ne reste plus rien des premières demeures souterraines dans lesquelles les habitans actuels de la colonie abritaient, il y a un quart de siècle, leur misère et leurs espérances : il ne demeure que bien peu de cabanes, monumens du second état de choses, et les maisons se dressent de tous côtés avec une rapidité qui étonne. À la race des anciens troglodytes qui a disparu succède une population toujours croissante, industrieuse, bien logée, bien vêtue. Dans cette colonie, on assiste à un cours d’économie politique en action. La division du travail et du commerce est encore peu avancée. La même boutique vend de tout ; une marchande de modes tient, outre des chapeaux de femme, des pendules, des épices, du grain et des chaufferettes. Au développement du bien-être matériel s’associe toujours en Hollande le développement moral. Il existe quatre écoles dans la colonie. Une terre qui se défriche, une jeunesse qui s’instruit, ce rapprochement de faits est consolant à voir. Il n’y a pas de spectacle plus grand ni plus moral que celui de l’homme étendant par le travail le domaine que lui a donné la nature. Quand maintenant on songe que c’est la tourbe qui a fait tout cela, on se demande pourquoi les habitans du vieux monde se jettent dans les déserts de l’Amérique, et pourquoi ils ne viennent point transformer les champs de la Drenthe ou de l’Overyssel. Les premiers colons qui sont venus exploiter sur les bords du Dedemsvaart cette Californie des tourbières étaient généralement des étrangers : il y avait parmi eux des Allemands, des Polonais, des Grecs ; mais la terre exerce sur ces élémens hétérogènes une force d’assimilation rapide, et Avéréest est bien aujourd’hui une colonie hollandaise.

L’exploitation des tourbières, envisagée comme principe de richesse industrielle et agricole, a créé des provinces entières ; elle a fourni et fournit encore du travail aux classes nécessiteuses ; elle a transformé des prolétaires errans en propriétaires du sol. Quelques économistes désirent maintenant qu’on dégrève les tourbières des droits d’accise et des divers impôts qui les frappent. Ce serait le moyen de donner une impulsion nouvelle à des travaux qui, il faut néanmoins le reconnaître, n’ont point été paralysés par les tributs qu’ils paient au gouvernement. On a vu ce que la Néerlande doit à la tourbe ; en présence de ces faits économiques et muraux, on serait tenté de s’écrier avec le vieux poète Vondel : « Heureux le pays ou l’enfant brûle sa mère ! »


ALPHONSE ESQUIROS.