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violences laissaient sur le visage, loin de passer pour des stigmates, étaient un titre d’honneur aux yeux des jeunes filles. Ces balafres attiraient les attentions du beau sexe, qui voyait chez les amateurs de ces jeux homicides une qualité que les femmes sauvages estiment par-dessus toutes les autres, le courage. Le progrès des mœurs a heureusement effacé une coutume inhumaine. Le procureur du roi d’Assen me faisait remarquer avec un grand sens que la police correctionnelle et une condamnation modérée avaient puissamment contribué à détruire cet abus en dépoétisant les avantages de la force. Il y a pourtant quelques villages où en dépit des lois cette tradition est encore en vigueur. Le matamore pose en entrant dans une auberge son couteau ouvert sur la table : ce couteau est un défi et une provocation ; quiconque le touche par inadvertance ou avec dessein prémédité s’expose à sortir la figure en sang.

La Drenthe se confond, du moins sur la lisière, avec l’Overyssel par les mœurs, les bruyères et la tourbe. Je bornerai aux colonies du Dedemsvaart l’histoire des tourbières de cette dernière province. Par une belle journée d’août, j’étais parti de Zwol le matin avec un économiste distingué de la seconde chambre, M. Sloet tot Oldhuis. Nous traversâmes des routes délicieuses bordées de hêtres, de bouleaux et de peupliers du Canada, dont le bois sert ici à faire des sabots. Un capital de plusieurs millions de florins croissait ainsi le long des chemins auxquels il versait l’ombre et la fraîcheur. Sur le bord de la route, nous découvrîmes aussi des taillis de chênes qu’on coupe au bout de neuf ans, et dont l’écorce sert à tanner le cuir. L’entretien et la préparation de ces arbres emploient un assez grand nombre d’ouvriers. Où l’économie publique est grande, c’est quand elle associe le sentiment de l’utile à la poésie de la nature. Quiconque voyage en Hollande doit toujours s’attendre à rencontrer des prairies. Dans les vertes prairies de l’Overyssel s’élève un bouquet d’arbres sous lequel les vaches viennent se reposer et prendre le frais durant la chaleur du jour. Quand ces arbres sont encore jeunes, on les protège contre la dent des animaux par un treillage. Cette prévoyance envers les bêtes est touchante et annonce une bonne population. Peu à peu les prairies firent place aux steppes. Au milieu des bruyères désolées, l’œil se reposait de temps en temps sur une prairie naturelle comme il s’en rencontre au Texas. Les landes mêmes de l’Overyssel ne restent point improductives sous la main du Hollandais. On en retire des bruyères pour le chauffage et des cailloux pour consolider les routes. Quelle ne fut pas ma surprise de voir des mottes de gazon soulevées (plaggen) devenir l’aliment des foyers domestiques ! Ces lambeaux d’herbes sèches ou plutôt de racines, dont on découvre à l’œil nu le réseau délicat, mêlé d’une croûte de terre,