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Des députations de chrétiens bosniaques vinrent près de Serajevo au-devant d’Omer-Pacha. Leur attitude était embarrassée, et il était facile de deviner à leur maintien que la crainte qu’ils avaient de leurs compatriotes musulmans les empêchait seule de se prononcer plus nettement pour le commissaire impérial, afin de ne pas être soupçonnés de vouloir lui venir en aide pour l’accomplissement de sa tâche. Cependant alors les chrétiens de la Bosnie n’étaient pas sans espérer beaucoup d’Omer-Pacha, mais en même temps ils avaient peu de confiance dans ses forces matérielles, et ils craignaient, en se mettant de nouveau en contact avec les musulmans, d’être exposés de leur part à une double vengeance. Ils étaient donc fort circonspects, et la terreur tenait même leurs langues captives. Omer-Pacha leur fit l’éloge du tanzimat et leur développa les avantages qu’ils pouvaient en retirer ; mais l’abattement peint sur leurs visages montrait bien qu’ils ne croyaient pas encore à l’introduction de la réforme en Bosnie. Omer-Pacha leur rappela qu’ils devaient prêter leurs services à l’armée impériale, et les chrétiens promirent comme des gens habitués depuis longtemps à ne jamais recueillir le prix de leurs efforts.

Omer-Pacha se préparait à faire une entrée solennelle dans la capitale de la Bosnie. Il voulait faire comprendre aux Bosniaques comment il entendait les traiter à l’avenir. Tous les notables de la ville et tous les membres des députations de la province avaient été, d’après l’ordre secret donné par Omer-Pacha, placés sous la surveillance militaire dans le camp turc, près de Serajevo. Ils voulurent, conformément à un ancien usage, aller au-devant du commissaire impérial et l’accompagner dans la capitale comme leur hôte ; mais Omer-Pacha prévint cette démarche en envoyant à leur rencontre un détachement de troupes qui les retint en ville, et leur fit signifier qu’il ne venait point comme leur hôte, mais bien comme un envoyé plénipotentiaire du sultan en Bosnie, chargé de juger ceux qui n’avaient pas encore exécuté les ordres de leur souverain. Cet acte hardi d’autorité jeta la confusion dans l’assemblée des notables. Ils ne surent rien résoudre. Ils auraient voulu tenir un conseil, mais on ne leur laissa ni le temps ni le lieu pour se réunir : la foule encombrait les rues, et Omer-Pacha était attendu d’un moment à l’autre. Ils furent mis en ligne par un officier de l’avant-garde sur le passage d’Omer-Pacha, et se virent obligés de le saluer comme le reste de la population. Cette conduite du commissaire impérial fit sensation dans son année, qui avait pu voir que son chef ne respectait guère les pachas des bachi-bousouks et les heurtait de front, comme aussi dans la population bosniaque. Celle-ci put se convaincre en effet qu’Omer-Pacha était décidé à exercer son autorité en maître fier et absolu, et qu’il n’était pas homme à se laisser intimider