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à murmurer, ils exciteraient la population turque contre eux, attendu qu’étant les maîtres du pays, ils ne permettraient jamais que la Bulgarie prit exemple de la Serbie, où le Turc est soumis aux institutions des chrétiens[1]. Ces menaces de la part des pachas, l’action de la propagande serbe et russe, avaient motivé une supplique adressée à l’empereur de Russie, « par laquelle trois cent onze Bulgares sollicitaient une intervention russe, ou, pour mieux dire, demandaient à être délivrés du joug turc. » Tous ces faits furent exposés au conseil ou mejlis de Nissa, devant lequel comparurent les fugitifs bulgares. Le conseil décida donc qu’une députation bulgare partirait pour Constantinople, et au départ cette députation fut accompagnée d’une forte escorte qui devait, pendant sa marche vers la capitale de l’empire, la préserver de la vengeance des Turcs.

Ayant ainsi, en trois semaines, accompli sa tâche en Bulgarie, Omer-Pacha s’en retourna en toute hâte, avec sa suite seulement, rejoindre son corps d’année à Iéni-Bazar. Là, il reçut de Serajevo et de la Craîne l’avis que les Bosniaques mahométans regardaient son hésitation à pénétrer dans l’intérieur de la Bosnie comme une preuve de faiblesse, et qu’ils prédisaient d’un ton railleur « qu’Omer-Pacha laisserait sa réputation en Bosnie, » ajoutant que, si leurs compatriotes les pachas et beys retenus dans le camp de Serajevo ne leur étaient pas rendus sous peu, ils iraient les délivrer. Ces menaces engagèrent Omer-Pacha à hâter sa marche sur Serajevo, et ce mouvement fut effectué malgré de graves difficultés de terrain. La Bosnie n’est qu’une grande forteresse défendue au sud et à l’ouest par d’énormes crêtes de rochers que traversent un petit nombre de défilés, tandis qu’à l’est se trouvent les montagnes qui s’étagent du nord-ouest au sud-est, de Vischegrad à Senitza, et le profond fossé de la Drina. Pour être maître de la Bosnie, il faut pénétrer à Travnik et à Serajevo, c’est-à-dire dans la grande, concavité triangulaire qui occupe le centre de cette forteresse naturelle, et qui présente à son angle septentrional le château élevé de Vranduk, à son angle oriental Serajevo et son amphithéâtre de montagnes formidables, à son angle occidental le défilé de Travnik, et plus loin la forteresse de Jaïtza. Il suffit de jeter les yeux sur la carte de cette province pour reconnaître combien sont justes les expressions par lesquelles les Hongrois, pour excuser leur retraite de ce pays en 1464, caractérisaient la Bosnie : Arces jugis impositoe opere et naturâ munitoe, regio minantibus in coelum scopulis aspera !

  1. Il y a encore dans les districts du sud de la Serbie plus de huit mille musulmans qui sont obligés de suivre les lois établies dans cette principauté.