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aucun parti, et leur sort fut des plus tristes. Tour à tour jouets de la Porte et de l’esprit insurrectionnel des musulmans bosniaques, ils flottèrent constamment entre la crainte et l’espérance. Divisés en catholiques romains et catholiques grecs, se haïssant d’ancienne date, ils ne voulurent pas entendre parler d’un rapprochement entre eux, qu’avaient tâché d’amener leurs prêtres, les seuls hommes intelligens de leur race. L’Autriche, qui désirait se créer un parti en Bosnie, flattait le clergé catholique ; elle ne put se concilier le clergé grec, qui tous les jours fait des prières pour la santé du corps et le salut de l’âme de l’empereur de Russie. Elle tenta d’organiser sous main une propagande panslaviste par des Croates catholiques ; mais cette propagande, peu comprise par les catholiques, échoua auprès des Grecs comme ayant une tendance opposée à leur religion. En résumé, les chrétiens portèrent presque tout le poids de la guerre, servant tour à tour celui des deux partis avec lequel les circonstances les mettaient en contact. Tout le travail des transports de l’armée turque fut fait ainsi forcément par des chrétiens qui ne reçurent pas le moindre salaire[1].

Pendant que Tahir-Pacha et les insurgés s’épuisaient en marches et contre-marches sans résultats et occasionnaient à la Porte une dépense de plus de 9,000 bourses (environ 1,125,000 fr.), Fazli-Pacha, Mahmoud-Pacha et Mustahi-Pacha, chacun pour son compte, intriguaient à Constantinople pour obtenir la place de gouverneur général de la Bosnie, alléguant que cette province ne pouvait être administrée d’une façon profitante pour la Porte que par un Bosniaque ; mais la Porte, à qui ce thème était parfaitement connu, et qui savait à qui elle avait affaire, répondit en engageant ces fonctionnaires à user de leur influence pour introduire le tanzimat et se préoccuper sérieusement des moyens de changer l’ancien état de choses en vue du plus grand bien de l’empire.

Dans le mois de janvier 1850, au moment où Tahir-Pacha se voyait dans la situation la plus critique, on tint enfin conseil à Constantinople sur les affaires de Bosnie et sur les moyens de résister avec vigueur à un soulèvement qui menaçait de devenir général dans cette province. On manquait de soldats, on ne pouvait pas rappeler d’Asie les corps qui s’y trouvaient. Les garnisons de la Roumélie étaient faibles ; douze mille hommes avaient été envoyés dans la Valachie. Les finances étaient en mauvais état, l’occupation des principautés ayant depuis dix-huit mois coûté beaucoup d’argent.

  1. Tahir-Pacha mit en réquisition six cents chrétiens et douze cents chevaux pour les transports ; quatre cent seize hommes avec six cents chevaux seulement retournèrent chez eux, et encore dans un état déplorable. Dans le camp des rebelles bosniaques, les chrétiens furent encore plus maltraités.