Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’existence des giaours (chrétiens) ; 3° la Porte a l’intention d’examiner les documens de chaque propriétaire de fief, et de le punir sévèrement de la non-exécution des conditions féodales pour le passé ; 4° enfin la Sublime-Porte veut établir pour l’avenir de nouvelles règles, telles que la conscription générale pour le service militaire régulier, institution qui n’est point d’accord avec nos anciennes traditions, et qui nous assimilerait aux giaours comme les autres troupes régulières ottomanes. Souffrirons-nous de pareilles injustices ? » Ce discours suffit pour exciter les esprits des Bosniaques, et il fut résolu qu’on résisterait opiniâtrement à la Porte. Habitués au pillage, les Bosniaques ne connaissent le Coran que de nom ; mais ils n’en sont pas moins musulmans fanatiques, en ce sens qu’ils ne veulent pas de l’égalité avec les chrétiens.

Tahir-Pacha ne tarda pas à apprendre la résolution des insurgés ; il voulut les punir et marcha contre les places fortifiées qu’ils occupaient ; ses débuts furent heureux. Il les chassa de Passavina, de Bania-Luca, et les cerna même dans Swornik ; mais après s’être avancé jusque-là sans s’être assuré de ses derrières, il craignit avec raison de tomber dans une embuscade, et se retira en toute précipitation pour gagner la Croatie turque. S’étant frayé un passage entre Priédor et Stari-Maidan, il était au moment de franchir la rivière de l’Ouna, lorsqu’il fut cerné de si près par les insurgés, qui avaient replis l’offensive à la nouvelle de sa retraite, que toute communication avec la Bosnie lui fut coupée. La situation de Tahir-Pacha fut un moment très critique. Au commencement de février 1850, il fut même sur le point de chercher un refuge sur le territoire autrichien avec son corps affamé, décimé par le typhus et réduit alors à trois bataillons d’infanterie, deux escadrons de cavalerie et six canons. Tahir-Pacha put du moins se procurer en Autriche des provisions qui le mirent en état d’attendre pendant quelques semaines un temps plus favorable pour opérer sa retraite à travers les marécages de l’Ouna. Cette opération lui réussit, et les insurgés, ayant appris son passage, retournèrent dans leur ville de Bihatch, située dans une île marécageuse de l’Ouna, cherchant l’occasion de traiter avec Tahir-Pacha au moyen de cadeaux qu’ils échangèrent. C’est ainsi que se termina, sans le moindre avantage pour la Porte, cette campagne si maladroitement combinée par Tahir-Pacha, et dont le double objet était de châtier les Bosniaques et d’introduire le tanzimat en Bosnie. Les Bosniaques au contraire puisèrent dans leur succès plus de confiance en leur valeur, et s’imaginèrent que la Sublime-Porte ne parviendrait jamais à les soumettre.

Pendant cette campagne, les chrétiens de Bosnie ne purent former