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et punir la férocité d’Ali-Pacha, envoya cependant des commissaires pour examiner l’état des choses dans l’Herzégovine ; c’est un des moyens le plus fréquemment employés par le divan, soit pour se débarrasser d’une question incommode et gagner du temps, soit pour s’assurer de la vérité. Les commissaires furent corrompus par Ali-Pacha, et s’en retournèrent avec des rapports mensongers. Les abus continuèrent donc comme par le passé.

Tahir-Pacha, au milieu de pareilles conjonctures, renonçant à s’occuper de l’Herzégovine, se mit à lutter en Bosnie contre les menées des pachas et des beys indigènes des différens districts. D’après les termes de son firman de gouverneur général, ces pachas et ces beys étaient placés sous son commandement et ne devaient agir que d’après ses ordres, mais ils se moquaient du firman et ne lui obéissaient pas. Ces chefs indigènes avaient le tanzimat en horreur, parce que l’exécution et l’application sérieuse de ce règlement les menaçaient de la perte de toutes leurs prérogatives et dignités en mettant un terme à leur pouvoir arbitraire. Ils avaient résolu d’user de tous les moyens à leur portée pour s’opposer à l’introduction des réformes. Une véritable conspiration s’organisa. Fazli-Pacha de Serajevo, Mahmoud-Pacha de Tousli, Mustahi-Pacha de Bihatch et Ali-Bey de Bania-Luca, qui étaient les plus marquans des conspirateurs, ne voulurent ou n’osèrent pas se mettre ostensiblement à la tête d’un soulèvement. Ils feignirent de se soumettre à la Porte et firent susciter adroitement une insurrection par des hommes presque inconnus, tels qu’Ali-Keditch, Méhémed-Riditch et autres, dont la résidence était dans la Croatie turque, siège traditionnel de tous les soulèvemens bosniaques.

Ali-Keditch avait jadis commandé des bandes de voleurs, et avait fait plusieurs excursions sur le territoire autrichien ; depuis, il s’était retiré dans ses terres, qu’il administrait paisiblement. Par ordre des pachas conjurés, il réunit autour de lui les principaux propriétaires turcs de la Craïne[1], leur fit une petite allocution qui expliquait à la fois ce que c’est que le tanzimat, et surtout quelles passions et quelles antipathies soulevait ce seul nom. « Seigneurs propriétaires, leur dit Ali, la Sublime-Porte, en voulant introduire parmi nous le tanzimat sans en avoir le droit, puisqu’elle ne possède pas la souveraineté absolue sur la Bosnie, qui n’a été liée à l’empire ottoman qu’en vertu de conventions, cherche à supprimer tous les droits inhérens à la possession héréditaire des fiefs. De cette façon, chaque propriétaire de fief devra : 1° payer l’impôt foncier ; 2° fournir à des conditions fixées par la Porte le terrain nécessaire

  1. On appelle ainsi la Croatie turque.