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le pays, et ce n’est que dans leurs relations avec les fonctionnaires turcs ou dans les documens émanés de la Porte qu’ils sont appelés de leurs noms musulmans et désignés par leurs qualités ottomanes de bey, pacha, etc.[1]. Le nombre des catholiques est considérable en Bosnie ; ils ont trois couvens avec leurs églises : ce sont ceux de Saint-Jean-Baptiste à Sudinsk, du Saint-Esprit à Fojnica, de Sainte-Catherine vierge et martyre à Kreshevo, où l’on voit des moines de l’ordre de Saint-François ; il y a en outre un couvent à Rome destiné aux Bosniaques, et qui est celui de Saint-Barthélemy-en-l’Ile. Il y a deux églises paroissiales sans couvens, et les paroisses dans toute la province sont au nombre de cinquante. On compte aussi trois chapellenies locales, quatre-vingt-onze prêtres ayant charge d’âmes, et treize qui habitent hors de la province, en tout cent cinquante-trois piètres, en y comprenant les religieux. Il y a en Italie et en Hongrie de nombreux étudians bosniaques qui se destinent aux ordres. La Bosnie a un évêque ; il est le successeur des prélats qui se sont transmis régulièrement la crosse épiscopale depuis l’an 1315. Le saint-siège y est représenté depuis 1340 par des vicaires apostoliques ; leurs noms ont été conservés ainsi que ceux des évêques. La conquête musulmane a détruit beaucoup de couvens, et le nombre des ecclésiastiques est certainement insuffisant pour la population catholique. Les moines et les catholiques de Bosnie sont attachés au saint-siège ; il y a parmi eux deux partis, l’un qui penche pour l’Autriche et l’autre pour la Porte-Ottomane. La Bosnie est d’une part limitrophe de la Serbie, dont les habitans ont été souvent sollicités, mais en vain, par les Bosniaques, de s’unir à eux ; d’un autre côté, les Bosniaques donnent la main aux Albanais catholiques ou mirdites, qui comptent plus de quarante mille familles, population belliqueuse établie sur les rives du Drin et en communication avec l’Adriatique par Sculari et Durazzo. Il est tout naturel que l’Autriche attache un grand intérêt à établir son influence sur ces populations, et cette influence une fois acceptée, le boulevard de la Turquie d’Europe contre cette puissance est battu en brèche ; mais il n’est pas moins naturel que la Porte-Ottomane

  1. Beaucoup de familles ont aussi gardé plus que le souvenir de la foi de leurs ancêtres, et il n’est pas très rare de voir un seigneur bosniaque faire venir un prêtre catholique ou grec au lit de mort et recevoir les sacremens avant de paraître devant Dieu. Peut-être la peur est-elle alors la principale conseillère ; Ce qu’il y a de certain, c’est que cette peur ne trouble guère les Albanais ni pendant leur vie ni à l’heure de la mort. Presque tous les beys albanais des districts habités par les chrétiens grecs, et notamment les Toskes, sont ce que l’on a appelé, très faussement à mon avis, des esprits forts ou de libres penseurs. Ils s’appellent eux-mêmes francs-maçons, et pensent volontiers, au rebours de Voltaire, que si Dieu n’existait pas, il serait inutile de l’inventer.