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générations en générations. Même sans l’influence étrangère, la Porte a déjà une partie assez difficile à jouer ; mais les difficultés augmentent et prennent des proportions redoutables quand elle rencontre à chaque pas l’action de la Russie et celle de l’Autriche unies contre elle, et c’est ce qui avait lieu en 1850, au moment même où Omer-Pacha était à Bucharest, et alors que le sultan le nommait muchir de Roumélie. Les moyens d’agir sur les Bulgares, les Serbes, les Bosniaques, ne manquaient pas à ces deux puissances ; ces populations n’ont pas oublié que leurs ancêtres ont vécu sur un sol libre et ont obéi à des rois indépendans, dont quelques-uns ont été des guerriers illustres. Les traditions et les poésies populaires, qui leur rappellent sans cesse un passé glorieux, entretiennent parmi elles des désirs qu’il est désormais impossible à la Porte-Ottomane de comprimer, et qu’elle peut tout au plus endormir par la satisfaction des intérêts. L’Autriche pouvait plus qu’aucune autre puissance balancer dans la Turquie d’Europe l’immense influence religieuse de la Russie, parce qu’elle compte dans ses états plusieurs millions de Slaves du midi professant la religion catholique, et que l’on peut opposer aux Slaves du nord professant le rite grec, comme on a si souvent opposé les Allemands catholiques du midi aux Allemands protestans du nord. Pendant longtemps l’Autriche, ainsi que nous l’avons dit, avait agi dans la Turquie d’Europe en faveur des catholiques de cette partie de l’empire, sans perdre de vue son action diplomatique, mais sans mauvais vouloir apparent contre la Porte. En 1850, ses journaux prenaient parti ouvertement pour les Bosniaques contre l’autorité turque, — et que la cour de Vienne ait eu raison ou non dans les accusations qu’elle lançait contre les Turcs, la conséquence de sa politique était l’affaiblissement de la Porte-Ottomane, en lui aliénant les populations chrétiennes. Un haut intérêt s’attachait donc aux événemens qui se passaient alors en Bosnie, et dans lesquels Omer-Pacha joua le rôle principal.

Comme la Bulgarie, la Bosnie a été un royaume, dont quelques portions sont maintenant sous le sceptre de la maison de Lorraine. Ce royaume n’a perdu son indépendance que vers la fin du XVe siècle, lors de sa conquête définitive par Bajazet II. Ses princes, qui avaient commencé par professer l’hérésie des Albigeois, reconnurent l’église romaine et la religion catholique, qui brilla d’un tel éclat dans leur royaume, qu’en 14444 le pape Eugène IV pouvait dire dans une bulle : Fratres vicariœ Bosnoe facti sunt murus inexpugnabilis pro fide catholica. La conquête musulmane n’affaiblit la foi que chez les grands. En Bosnie comme en Albanie, ceux-ci embrassèrent l’islamisme pour conserver leurs rangs et leurs privilèges ; mais ils ont toujours gardé leurs anciens noms slaves, par lesquels ils sont connus dans