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pain à la sueur de ton front, a dit la colère divine. La vie de l’homme est un combat, mais quand il ne s’abandonne pas lui-même, il triomphe plus souvent qu’il ne succombe. Sans doute les intempéries ont des dangers de plus en plus effrayans, à mesure que la population s’accroît : l’existence de nombreux millions d’hommes peut dépendre d’un excès de froid ou de chaud, de sécheresse ou d’humidité ; mais nous avons aussi, si nous voulons, des armes de plus en plus puissantes pour nous défendre, la science et le capital.

Quoi qu’en puisse dire l’ignorance, l’application des sciences à la culture est une nécessité de notre temps. Ce qu’elles ont fait pour l’industrie, elles le feront certainement pour l’exploitation du sol ; leur intervention progressive sera plus ou moins rapide, elle est infaillible. Quant au capital, des causes puissantes le détournent aujourd’hui. Il est un fait positif qui frappe tous les yeux : malgré la cherté des denrées agricoles, qui semblerait devoir donner une nouvelle valeur au sol, les baux ne s’élèvent pas, et les terres ne se vendent pas mieux que par le passé. Ce phénomène singulier est le signe évident de la désertion des capitaux ; il y a dix ans, des faits tout contraires indiquaient une autre disposition. Cette perturbation n’aura qu’un temps ; elle tient à des causes en grande partie artificielles. Livrés à eux-mêmes, les capitaux se répartiraient plus également entre les différentes entreprises qui les sollicitent ; ils ne se porteraient surtout que sur des emplois productifs, tandis que nous les voyons s’engloutir dans une foule de consommations improductives. Quand l’ordre naturel sera rétabli, et que le sol recommencera à recevoir la part de capitaux qui lui revient, la France produira non-seulement ce qui est nécessaire à sa subsistance, mais un notable excédant. Dans l’état actuel de sa population, entourée qu’elle est de pays infiniment plus peuplés, comme l’Angleterre, la Belgique, la Hollande, la Suisse, l’Allemagne rhénane, qui ne suffisent plus à leurs besoins malgré l’excellence de leur culture, son rôle naturel est d’être un pays exportateur. Elle le serait déjà sans les circonstances qui ont arrêté son développement. Or de tous les moyens de prévenir les disettes, l’exportation régulière est le plus sûr. Quand on produit tous les ans beaucoup plus qu’on ne consomme, outre qu’on s’enrichit par la vente de ses produits, on est gardé contre les mauvaises années : il suffit alors que l’exportation s’arrête pour combler le déficit.

Au milieu de ces espérances, une triste réalité vient d’éclater. Je n’avais que trop raison en disant, il y a trois mois, que nous n’étions pas au bout de la cherté. La récolte des principales céréales a encore une fois trompé les efforts du cultivateur ; le grain a haussé sur tous les marchés, et le prix moyen du blé en France a atteint 32 fr. l’hec-