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leur admiration, raillant tout bas chez les Turcs ce qu’ils appelaient les prétentions à la tenue européenne, mais visiblement étonnés des progrès de l’armée ottomane. Parmi les généraux russes, il y en avait que le commandant turc devait plus tard rencontrer et battre plus d’une fois. Des rafraîchissemens avaient été servis sous une vaste tente, et Omer-Pacha y fit les honneurs de son camp aux dames qui avaient été invitées, et dont quelques-unes étaient d’une rare beauté, avec une aisance et une rondeur toute militaires, si ce n’est avec grâce. La revue fut fort belle, un temps admirable la favorisait, et une éclipse de lune, qui fut visible au commencement de la soirée, et qui donnait à cette planète la forme d’un croissant, fut accueillie par les Turcs comme un bon augure. Les troupes licenciées ne devaient pas regagner immédiatement leurs foyers, elles devaient rester encore sous les drapeaux ; mais ce temps devait compter pour les réserves. Le général en chef avait jugé à propos de faire lire le firman de licenciement avec solennité, et de désigner ainsi publiquement les bataillons appelés à rentrer dans leurs foyers, afin de calmer l’impatience de ses troupes et de tromper pour quelque temps l’ardent désir qu’elles avaient de retourner en Turquie[1].

Si la conduite du général en chef comme militaire et administrateur avait révélé des qualités estimables, ses débuts comme homme politique ne furent pas heureux, et il ne se fit pas toujours remarquer par la modération et l’esprit de suite dans les actions. Contrairement aux vœux secrets de son gouvernement, qui désirait le triomphe de l’insurrection magyare, alors menaçante pour la cour de Vienne, puisque celle-ci fut obligée de recourir à l’intervention armée de la Russie, contrairement au moins à l’attitude de parfaite neutralité qui était imposée à l’armée ottomane par les ordres du divan et par les intérêts de la Porte (qui avait déclaré qu’en faisant occuper la Moldo-Valachie, elle n’avait voulu que sauvegarder son propre territoire), Omer-Pacha, lorsque l’aide-de-camp général Lüders franchit pour la première fois les Carpathes avec son corps d’armée pour pénétrer en Transylvanie, fit connaître aussi son désir d’imiter les Russes, afin de contribuer à la réduction des rebelles. L’inaction lui pesait. Il fallut la haute raison et l’éloquence persuasive de Fuad-Effendi pour le contenir et le convaincre de son erreur. Quelque temps après, il passa d’un extrême à l’autre et se montra hostile aux Autrichiens, qui n’avaient pas su ou n’avaient pas voulu ménager sa vanité. Voici

  1. La nostalgie poussait quelquefois les soldats turcs à des actions désespérées. Il y avait peu de jours qu’un certain nombre d’entre eux, en garnison à Craïova, dans la Petite-Valachie, avaient formé le complot de mettre le feu à la ville, et de profiter du désordre pour piller et s’enfuir. Ce complot avait été découvert, et Omer-Pacha en avait fait périr les chefs sous le bâton.