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à lutter avec Fuad-Effendi pour les qualités extérieures, et devaient vaincre par d’autres armes. Quant à Omer-Pacha, il semblait attendre patiemment son heure, celle des combats, qui devait lui donner l’importance à laquelle il aspirait. Il sentait déjà sa valeur, et tout en s’effaçant devant le commissaire ottoman, il commençait à se faire remarquer : de son séjour en Valachie date sans doute la grandeur exceptionnelle à laquelle il est parvenu dans son pays d’adoption.

Comme tout Ottoman, Omer-Pacha prévoyait depuis longtemps la possibilité et même la nécessité d’une guerre entre la Turquie et la Russie, et il était heureux d’une circonstance qui lui permettait d’étudier de près les Russes avant de les combattre, de mettre les soldats turcs en contact avec les soldats russes, et de leur inspirer peu à peu la confiance sans laquelle une armée ne peut espérer de vaincre. L’armée russe, à vrai dire, celle qui occupait les principautés sous les ordres de l’aide-de-camp général Lüders, ne gagnait pas à être mise en présence des Turcs, si l’on en exceptait la cavalerie et peut-être le matériel de l’artillerie. La nourriture saine et abondante distribuée aux Ottomans, comparée aux détestables alimens qui font l’ordinaire du soldat russe, donnait à penser à ce dernier, qui faisait volontiers taire quelquefois l’amour-propre national au profit de son estomac. La comparaison qu’Omer-Pacha fit à cette époque entre ses troupes et les soldats russes lui inspira dès lors de la confiance et de grands projets. Après plusieurs mois de manœuvres et d’exercices à feu dans lesquels les Turcs montrèrent une grande promptitude et une rare précision, une occasion s’offrit au commandant en chef de les faire admirer à ses amis et à ses ennemis, et il la mit à profit. Le 1er septembre 1849, il invita toutes les autorités et les principaux habitans de la ville de Bucharest à assister à la cérémonie du licenciement des soldats qui avaient terminé leur temps de service. L’armée ottomane était sous les armes dans la vaste plaine de Banneassa, près de la chaussée qui fait le prolongement de la promenade publique appelée Jardin de Kisselef. Sur cette plaine s’élevaient les tentes vertes des Turcs surmontées du croissant, et teintes des derniers rayons du soleil. Là Omer-Pacha déploya et fit manœuvrer ses bataillons et sa cavalerie. Il était monté sur un superbe cheval arabe dont il contenait avec aisance la fougueuse ardeur. Près de lui était l’hospodar Stirbey, fort embarrassé de l’honneur qu’on lui faisait de passer en revue les troupes turques, allant du commissaire ottoman, Fuad-Effendi, au commissaire russe, le général Du Hamel, s’étudiant à ne montrer de préférence ni à l’un ni à l’autre. Autour d’eux se groupaient les pachas turcs à la tournure lourde, mais au visage résolu, et les généraux russes, la tête surmontée du casque prussien, le corps emprisonné dans l’uniforme, exprimant tout haut