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Ham et son captif d’autrefois, l’auteur montre sur la table du prisonnier des livres épars, « Sand, Brunne, etc. ; » il est à croire que le captif de Ham avait d’autres préoccupations et d’autres pensées. Au fond, avec une certaine ardeur d’imagination féminine, l’auteur d’Amour et Philosophie met sur le chemin de cette poésie humanitaire et sociale, chimère d’esprits inexpérimentés et enivrés qui croient remuer des idées parce qu’ils agitent de grands mots dans leurs vers amples et vides. Il serait facile de rattacher à cet ordre d’inspirations, bien qu’avec des nuances diverses, les Croyances de M. Jules Marchesseau et les Songes et Réalités de M. Jules Rouquette. Ce n’est pas que l’auteur des Croyances n’émette quelques idées qui ont leur justesse : il croit à la nécessité de réagir contre l’esprit matérialiste et mercantile de notre siècle ; mais son idéal, où va-t-il le chercher ? Il se dit le dernier venu dans la grande armée de la révolution. La révolution a pu avoir elle-même sa poésie gigantesque et sinistre ; elle n’a point enfanté de poésie et elle n’a point eu son poète. Qui ne voit en effet que les doctrines révolutionnaires, dans leur essence, sont ce qu’il y a de plus mortel pour l’imagination humaine ? M. Marchesseau prend donc un étrange moyen pour relever la poésie, en s’attelant au char sous lequel elle périt broyée. Quant aux Songes et Réalités de M. Jules Rouquette, il ne serait point aisé de distinguer la pensée de l’auteur, si lui-même il ne disait que dans chaque homme il y a un pape, que le moindre chaume a un autel suffisant, et que l’empire, c’est l’humanité ! Sait-on le caractère principal de ces vers qui ont plus ou moins une teinte révolutionnaire et sociale ? C’est l’incertitude intellectuelle et morale et la prétention d’élever cette incertitude à l’état d’affirmation et de croyance. Dans les Fleurs de Vendée, de M. Émile Grimaud, il y a plus de fraîcheur et de grâce, soit que l’auteur chante le serpolet ou le renouveau, soit qu’il recueille quelque légende vendéenne. C’est une muse simple et jeune, facilement inspirée et doucement vibrante aux souffles amis du lieu natal. Ainsi se succèdent ces vers, enfans de l’année actuelle, la plupart inconnus et méritant leur obscurité, quelques-uns gracieux et faciles, tous s’en allant comme ces feuilles qui tombent en tournoyant à la saison mauvaise. Les feuilles vont se mêler à la neige et jonchent le sol ; mais sous cette couche épaisse et froide couve l’étincelle qui réchauffe encore le sein de la terre. Qu’il en soit ainsi de l’âme humaine, réchauffée par une étincelle intérieure et préparée à porter ses fruits nouveaux de poésie et d’inspiration.

Ce ne sera point seulement un symptôme littéraire, ce sera aussi le signe du réveil des esprits et des âmes, en un mot de l’activité morale, de la juste et saine activité, souvent interrompue par les événemens qui viennent la détourner ou la fausser. Là est le lien des lettres et de la politique. Ce qu’est la politique aujourd’hui sous le rapport général, au point de vue de la situation respective des principales puissances de l’Europe, dans la grande crise qui tient le monde en suspens, on a pu le voir déjà. C’est à travers les diversions émouvantes et redoutables d’une question considérée à bon droit comme universelle que chaque peuple a pour l’instant à s’administrer et à conduire sa politique intérieure. Une nouvelle session législative s’ouvrait récemment à Bruxelles, à Turin et Athènes, des élections gouvernementales se terminaient en Suisse, et partout on pouvait apercevoir, ce semble, dès