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verains et les princes qui sont venus en France depuis le commencement de la guerre ? La reine Victoria, le roi des Belges et son fils le duc de Brabant, le jeune roi de Portugal, le roi de Sardaigne, c’est-à-dire des souverains constitutionnels. Dans les pays où la liberté politique n’existe pas, les gouvernemens font plus ou moins des vœux pour la Russie, et l’opinion des populations, bien que favorable aux puissances occidentales, ne peut parvenir à se faire jour, à faire sentir son influence. N’est-ce point là un indice du rôle véritable de la France dans le monde, des idées qu’elle ne cesse de représenter à travers ses transformations et ses changemens politiques ?

Dans le cours de cette mémorable année, la France a pu offrir ainsi en peu de temps ce double spectacle d’un pays mettant en action sur un lointain théâtre sa puissance militaire, retrouvant sans effort le premier rang dans la guerre, et donnant l’hospitalité sur son sol à toutes les œuvres de la paix, recevant des souverains, des princes, les hommes les plus éminens de l’Europe, les uns et les autres attirés par l’exposition universelle. Il y a six mois révolus déjà que cette exposition commençait. Ce n’est qu’avec lenteur qu’elle se dégageait de son premier chaos, pour apparaître bientôt dans ses vastes et splendides proportions. Elle a fini l’autre jour au milieu d’une réunion immense où toutes les nations étaient représentées. La dernière séance a servi à mettre une fois de plus en présence la paix, d’où naissent tant de produits, et la guerre, qui trouble le travail. C’est aux peuples de choisir. Non pas que la paix soit préférable à tout, et doive être mise au-dessus des intérêts les plus essentiels et les plus précieux ; mais les peuples savent aujourd’hui où est le danger de conflagrations plus grandes et où est le moyen d’arriver à la paix sans sacrifier l’intérêt de l’Europe. Peut-être la séance de clôture de l’exposition universelle n’eût-elle point été moins significative et moins complète, si la politique s’était renfermée tout entière dans le discours de l’empereur, et lors même que le prince Napoléon n’eût pas cru devoir évoquer d’autres pensées et d’autres souvenirs qui semblaient assez étrangers à la circonstance. Quant à l’intérêt spécial de la séance de clôture de l’exposition, il est surtout dans la distribution des récompenses, distribution libérale et magnifique, qui est allée chercher les artistes de tous les pays, les industriels et les ouvriers étrangers aussi bien que les ouvriers et les industriels français. Croix, médailles, distinctions ont servi de couronnement à cette grande revue des arts et de l’industrie. On ne saurait s’en plaindre. Quand il créa la Légion-d’Honneur, l’empereur autrefois eut une pensée élevée en instituant une distinction unique devant laquelle tous les services étaient égaux. Il ne faudrait pas cependant que cela conduisit à établir une égalité factice, une égalité qui ne peut pas exister entre des services libéraux, désintéressés, et un travail qui trouve en lui-même une première récompense, conforme à sa nature par les profits qu’il donne. Il ne faudrait pas que cela eut particulièrement pour résultat de procurer à quelque industriel l’avantage de vanter ses produits en signant d’un haut titre dans la Légion-d’Honneur. Maintenant quelles seront les conséquences pratiques de cette grande exposition ? Sera-ce le point de départ d’une ère nouvelle pour l’industrie et le travail ? Hélas ! il n’est pas plus facile aujourd’hui qu’hier de rendre accessible à tous les hommes ce qui est le partage du petit nombre,