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petit nombre de lecteurs plutôt que de faire le travail ingrat et pénible de rendre la science intelligible à tous. Je ne pourrai jamais peindre le désappointement de plusieurs littérateurs distingués qui, sur la foi du grand nom de Laplace et de son titre de membre de l’Académie française, s’étaient aventurés à ouvrir le Système du Monde. Ce livre aurait été, si possible, écrit en hébreu avec des caractères chinois, que leur étonnement n’aurait pas été plus grand. Il leur semblait une véritable offense à leur amour-propre d’écrivains et de lecteurs. En revenant à notre thèse, c’est donc un exposé de tous les travaux astronomiques de l’année qui serait un véritable et efficace encouragement à la science, surtout s’il était écrit en style intelligible à tous. Les petites notices annuelles que publiait Lalande faisaient beaucoup de bien à l’astronomie, et de plus il y a conservé la mémoire de beaucoup de faits biographiques que l’on chercherait inutilement ailleurs.

Mais tandis que les observatoires de l’ancien monde poursuivent leur carrière, en thésaurisant chaque année le tribut du temps et du travail intelligent, voici la jeune Amérique qui prend son rang dans l’astronomie et dans les sciences. Je ne parle pas de la race espagnole et portugaise, qui nous offre des peuples nouveaux déjà vieux par leur impuissance politique et scientifique. Je parle de la race anglo-saxonne, qui, sous les auspices de M. Bache, l’arrière-petit-fils de Franklin, du professeur Henry, de M. Gould, astronome actif et dévoué, et des savans de Washington, de Boston et de Philadelphie, rivalise déjà avec les travaux européens. M. Ferguson, de Washington, nous a donné une des petites planètes. M. Bache exécute le gigantesque travail hydrographique et géographique du relevé des côtes immenses des États-Unis. Les cartes du lieutenant Maury, couronnées à l’exposition de l’industrie, sont connues du monde entier. Il en est de même de l’admirable méthode d’enregistrer le temps sans avoir la pénible préoccupation d’écouter les battemens d’une horloge. Cette méthode, essentiellement américaine, compte aujourd’hui M. Gould entre ses plus habiles metteurs en œuvre. C’est lui qui est chargé des longitudes télégraphiques dans le coast-surcey de M. Bache. Je ne parle pas de l’immense lunette astronomique de Cambridge, près de Boston, et des travaux de MM. Bond. Le trait caractéristique des établissement astronomiques des villes du Nouveau-Monde me parait être cette intelligence patriotique qui fait que des citoyens, des corporations municipales font de grands frais pour des études dont ils comprennent la dignité sans y être initiés eux-mêmes et seulement en vue du bien public et de l’honneur de la nation. Ce qui se fait en Angleterre par le zèle éclairé des possesseurs de grandes fortunes aristocratiques ou commerciales se fait aux États-Unis par la vigueur d’une société qui sent que tout ce qui est grand et beau doit exister de l’autre côté de l’Atlantique comme en Europe, et se produire sur une échelle qui n’admette aucune infériorité. C’est ce qu’a déjà reconnu l’illustre astronome Airy, rendant pleine justice aux travaux récens des savans américains. Voyons comment cette tendance se traduit en effets et se réalise en pratique.

Il y a quelques années, M. Mitchell, de Cincinnati sur l’Ohio, entreprend de fonder un observatoire municipal. Il trouve le terrain, les matériaux et même la main-d’œuvre fournie gratuitement. Il vient en Europe, et au