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que cette invention anglaise serait moins applicable dans le midi que dans le nord ; l’exemple de M. de Bryas et de son voisin, M. le comte Duchâtel, qui a drainé avec un grand succès ses vignes du Médoc, prouve le contraire. Le drainage, qui assainit les terres humides, a aussi la propriété d’humecter les terres sèches, en attirant l’eau pluviale à des profondeurs qui empêchent sa rapide évaporation aux ardeurs du soleil. Ce fait inattendu est maintenant démontré. Les sols argileux et imperméables se rencontrent d’ailleurs aussi fréquemment dans le midi que dans le nord, et y présentent à peu près les mêmes inconvéniens, que nos cultivateurs essaient de corriger par des fossés, des labours en billons, des transports de terre des extrémités au centre du champ.

Le drainage ne fait pourtant de sérieux progrès que dans les départemens les plus riches de France, comme Seine-et-Marne, l’Oise, l’Aisne, Seine-et-Oise, etc. Malgré les encouragemens répétés de l’administration, le reste du pays s’en occupe peu. C’est une réparation fort chère, et bien qu’il s’agisse, en moyenne, d’un placement à dix pour cent, tout le monde n’a pas 250 francs à dépenser par hectare. L’exécution offre d’assez grandes difficultés ; c’est tout un art que l’art de drainer. Il faut pour conduire le travail de véritables ingénieurs, et pour le bien faire des ouvriers spéciaux ; la fabrication des tuyaux est imparfaite encore, et il n’est pas certain que sur quelques points on ne soit obligé de recommencer. J’ai vu bien des champs en Angleterre qui avaient été drainés deux ou trois fois, tantôt parce que les tuyaux n’étaient pas bons, tantôt parce qu’ils avaient été mal placés. Nous ne sommes pas assez riches en France pour nous permettre de pareilles écoles.

Avec des champs mal travaillés et mal fumés, comme le sont encore les trois quarts de la France, le drainage ne peut porter que des fruits insignifians. Bien des progrès doivent passer avant celui-là pour la plupart de nos contrées. L’adoption d’un bon assolement ne coûte pas aussi cher et peut être tout aussi productif. Puis vient l’emploi de quelques instrumens perfectionnés, comme une bonne charrue, une bonne herse, le battage mécanique, l’usage de quelques amendemens. Les moyens imparfaits d’écoulement que nous possédons peuvent suffire tant que le sol n’est pas porté à un état supérieur de fertilité, d’autant plus qu’on peut les améliorer, les multiplier sans de grands frais. Que le drainage fasse partie d’un ensemble de mesures pour transformer de fond en comble une terre arriérée, je le conçois ; mais alors il ne faut pas parler seulement de 250 fr. par hectare, il faut compter sur 500 et même sur 1,000. Tant qu’on n’en est pas là, et combien de propriétaires y sont parmi nous ? il vaut mieux marcher pas à pas et employer les petits moyens en attendant les grands.