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drames avec des délicatesses si variées et de si charmantes subtilités.

Cependant les amoureux catholiques de Rose se conduisent tout autrement. Il y en a deux : un Anglais, Eustache Leigh, le propre cousin d’Amyas, et un Espagnol, don Guzman de Soto, fait prisonnier par Amyas et Walter Raleigh pendant les révoltes de l’Irlande. La passion s’exprime chez eux avec, bien plus de violence et marche droit à son but, décidée à ne point céder et à briser tous les obstacles. Écoutez le pauvre Eustache Leigh aux genoux d’un prêtre catholique, le père Campian, et demandant qu’on lui pardonne un amour qu’il ne peut pas surmonter.

« — Ah ! dit pensivement Campian. Et elle n’a que dix-huit ans, dites-vous ?

« — Dix-huit ans seulement.

« — Eh bien ! mon fils, il faut attendre. Elle doit se réconcilier avec l’église, ou vous devez l’oublier.

« — Je mourrai auparavant.

« — Ah ! pauvre garçon. Eh bien ! elle peut être réconciliée avec l’église, et ses richesses pourront devenir utiles ainsi à la cause du ciel.

« — Et cela ne servirait à rien. Donnez-moi seulement l’absolution, et rendez-moi la paix. Laissez-moi la posséder, cria-t-il d’une voix suppliante. Je n’ai pas besoin de ses richesses ; non, je ne m’en soucie pas ! Laissez-moi la posséder seulement une année, un mois, un jour. Et tout le reste, — richesse, renommée, talens, bien plus, ma vie elle-même, si cela est nécessaire, sont au service de la sainte église. Oui, je serai heureux de montrer mon dévouement par quelque sacrifice extraordinaire, par quelque acte désespéré ; oui, laissez-moi l’avoir, et soumettez-moi à l’épreuve, et vous verrez ce dont je suis capable. »

Le chapitre d’où nous tirons ce fragment de conversation est intitulé : Deux manières d’être amoureux, et contient la scène où Frank et Amyas abdiquent leur amour en faveur l’un de l’autre. La différence est en effet extrêmement marquée ; mais nous regrettons qu’Eustache Leigh, le catholique anglais, qui, à ce titre, est odieux à M. Kingsley, nous soit présenté en même temps comme un type de perversité. Qu’en vertu de la fougue de son amour Eustache soit capable d’actions violentes, même de crimes, nous le concevons ; mais qu’il soit capable de mensonges bas et d’indignités dont ne se rendrait pas coupable un homme de la plus vulgaire espèce, nous ne le croyons pas. M. Kingsley aura obéi involontairement à un préjugé en lui donnant cet affreux caractère. Nous venons d’entendre l’Anglais catholique ; écoutons maintenant l’Espagnol. Don Guzman de Soto devient décidément l’amoureux préféré de Rose Salterne.