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pensées funèbres, expansion joyeuse de la vie, ardeur sombre et jalouse, enfantillages légers et badins, se réunissent dans cet amour. Aussi l’amour catholique se déploie-t-il avec une magnificence, une pompe, un éclat, une variété incomparables, et il est capable d’exciter chez ceux qui observent ses effets de leurs propres yeux les sentimens les plus divers et les plus solennels, la pitié presque toujours, la terreur souvent, l’admiration quelquefois, la curiosité infailliblement. Cet amour n’est si émouvant que parce qu’il renverse toutes les conditions ordinaires de la nature, que l’homme ne conserve jamais avec lui son équilibre, et qu’au lieu de garder son attitude et sa stature d’homme il passe de la violence la plus forcenée à la soumission d’un enfant.

Chez les nations protestantes au contraire, l’homme perd rarement son équilibre, et l’amour est plus intérieur qu’extérieur. Au lieu de brûler comme un incendie et de jeter ses flammes au dehors, il couve comme un feu secret. Il fond l’âme comme un métal, lentement, péniblement, avec mille petits crépitemens que l’oreille peut à peine entendre. Ce feu n’arrache point au patient les cris de douleur que fait jeter une souffrance trop vive, mais il lui fait subir les tortures intérieures que l’on souffre en silence, en serrant les lèvres et en contractant les muscles, tortures comparables à celles du jeune Spartiate qui se laisse déchirer sous sa robe sans se plaindre. C’est un amour muet, fier, et dans lequel la dignité domine le désir. C’est un amour sans empressement, sans autre galanterie qu’une sorte de sentimentalité un peu froide, qui n’a aucune des familiarités de la passion, et qui est comme la politesse, les saints et les révérences de l’âme amoureuse. Une certaine distance reste toujours établie entre l’être aimé et l’être qui aime, distance que la possession même n’efface pas absolument. Ce n’est pas un amour de sacrifice comme l’amour catholique, c’est un amour de dévouement ; mais l’âme qui est consumée par ce feu secret est capable de s’épurer singulièrement, et d’arriver à une sensibilité, à une délicatesse, à un tact et à une subtilité inouïes. Ces diverses nuances du sentiment de l’amour ont été, selon nous, très finement saisies par M. Kingsley, et à ces couleurs éternelles il a joint habilement toutes les nuances transitoires et passagères de l’époque, cette grâce évanouie pour jamais, mais qui vit, fixée pour toujours, dans les drames de Shakspeare, et qui provenait des mœurs du moyen âge épurées et adoucies, cette élégance naïve et sauvage comme l’élégance des cerfs errant à l’ombre des forêts féodales, ce respect de la femme, dernier reste des traditions chevaleresques, cette adoration de l’idée de beauté sous une forme visible, mysticité platonique, produit de la renaissance.

Tous les personnages du roman tournent tous comme des planètes