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papiste, c’est un madianite. Plein des souvenirs bibliques, il frappe tout ce que l’implacable Jéhovah a frappé, tout ce que les serviteurs de Moïse et de David ont frappé. Il n’a aucune pitié pour les nègres, et les réduirait volontiers en esclavage. Pourquoi Cham a-t-il ri jadis de la nudité de son père ? En vérité, il a de l’avenir, ce Salvation Yeo. Cette société d Elisabeth est le brillant reflet du passé ; mais dans ce rude anabaptiste ne voyez-vous pas le commencement d’une histoire de cent années, — têtes rondes décapitant l’amalécite Stuart et reconnaissant pour de tièdes amis de Dieu les parlementaires de la tribu de Benjamin à leur façon défectueuse de prononcer le shibboleth, indépendans dit l’armée de Cromwell, presbytériens covenantaires d’Ecosse, puritains du Massachusetts, dur esclavage des colonies anglaises, germe des États-Unis d’Amérique ? Quoique le plus humble des héros de cette histoire, il en est un des plus importans.

Voilà le caractère des personnages ! quelle est l’allure de leurs passions ? Un curieux chapitre de psychologie qui n’a jamais été essayé de rechercher l’influence des religions sur les passions, de voir quelle tournure particulière elles leur donnent et les différences qu’elles leur impriment. Quelle influence le protestantisme et de catholicisme, par exemple, ont-ils eue sur les passions, et quelles différences ont-ils imprimées à la plus importante et à la plus générale de toutes, celle de l’amour ? M. Kingsley a très bien reproduit ces différences, et, je crois, sans y trop prendre garde[1]. Rien de plus difficile à expliquer, tant sont délicates les nuances, même les plus accusées, d’un sentiment qui est commun à tous les hommes de toutes les classes et de toutes les races. L’amour, chez les nations catholiques et chez les hommes d’un caractère catholique, est tout extérieur et tend invinciblement à se répandre au dehors. Il se compose, si nous pouvons associer ces deux mots, de galanterie et de flamme. Le désir y domine le respect et court à son but jusqu’à ce qu’il soit satisfait. L’homme marche à sa damnation tout en ayant présent à l’esprit l’idée de cette damnation ; il y marche, jouet du diable et de lui-même, ayant devant lui les images de toutes les tortures de l’enfer, mais fasciné comme par un mirage où se peignent à ses yeux toutes les splendeurs du ciel. C’est une prise de possession de l’être moral et physique tout entier, un incendie qui a des lueurs superbes et d’éblouissans jets de flammes. Mille associations de choses contraires,

  1. Tout ce que nous disons ici de l’amour protestant et de l’amour catholique ne s’applique qu’au passé. L’amour, sentiment d’ancien régime, a disparu de notre société, grâce au progrès moderne. Ce qu’on va lire n’est donc qu’on coup d’œil rétrospectif sur une passion qui tint jadis une grande place dans la vie des hommes, aujourd’hui heureusement trop sérieux pour éprouver des sentimens d’enfant et de barbare.