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marins qui reviennent des Açores et de l’isthme de Panama, jésuites qui parcourent l’Irlande et le pays de Galles pour soulever des populations restées fidèles au vieux culte, gentilshommes anglicans, respectueux chevaliers de la belle vestale assise sur le trône d’Occident et confondant l’idée de foi protestante avec l’idée de patrie, dissidens puritains cherchant en grommelant la voie du salut, cavaliers espagnols intraitables rivaux et irrésistibles galans, bourgeois anglais soumis et fiers corrigeant leurs filles et leurs femmes selon l’antique et directe méthode, tout ce panorama passe sous nos yeux. Bien que la scène de ce dramatique poème soit l’Angleterre, nous avons cependant le reflet de toutes les civilisations continentales si diverses de cette époque ; nous avons là le reflet de la galante et sanglante Italie, l’écho de la France batailleuse et duelliste, le retentissement de l’Espagne menaçante et entraînée par les vertiges de l’orgueil. Les personnages ont bien tous leur caractère historique, et, chose curieuse, les portraits à notre avis qui sont les moins ressemblans peut-être sont ceux des anglicans. L’intention de M. Kingsley était de les présenter au lecteur tels que sa sympathie les lui présente, braves, loyaux, chevaleresques, religieux ; il les a faits trop braves, trop loyaux, trop religieux. Comme ces personnages étaient ses favoris, il a involontairement corrigé leurs défauts. Il est incontestable que les gentilshommes anglais de cette époque étaient polis, courtois, honnêtes et braves, aussi dévoués à leur reine que les courtisans du XVIIe siècle le furent à Louis XIV, aussi bons protestans que pouvaient l’être des gens qui venaient d’échapper à Rome ; mais ils n’étaient pas aussi correctement loyaux, polis et braves, et surtout ils n’étaient pas aussi honnêtement mesurés dans leur langage et dans leurs actes. Amyas Leigh, le pratique Amyas Leigh, a pu raisonner avec bon sens son amour pour la belle Rose Salterne, mais il ne l’a pas fait aussi tranquillement ; les chevaliers de la Rose ont tous été, je n’en doute pas, d’excellens jeunes gens, mais ils n’ont jamais été aussi sages que le croit M. Kingsley, et les bouillonnemens de leur sang, une fois mis en mouvement, s’apaisaient moins vite qu’il ne le dit. Sir Richard Grenvil était un homme grave et religieux, mais il a dû jurer plus d’une fois. Sir Walter Raleigh est un favori de M. Kingsley : je veux croire que les vanités du monde étaient incapables de lui faire commettre une lâcheté ou un crime ; mais il n’était pas aussi désabusé à leur endroit que le dit son apologiste, et il y avait certainement dans sa nature un point que l’éclat et la grandeur chatouillaient sensiblement. M. Kingsley a un idéal très anglais que nous respectons profondément ; il voit la perfection de la nature humaine dans une grande honnêteté morale unie à une grande bravoure pratique, et dans une grande élévation d’âme mise au service d’intérêts réels. Si