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former ce beau règne. Ces élémens, en lutte jusque-là, présentèrent un tout harmonieux ; ces sentimens muets, qui tant de fois avaient fait effort pour s’exprimer, rompirent l’enchantement qui les retenait et parlèrent un beau langage correct, mélodieux et fin. Malheureusement cela ne pouvait durer, cette fleur se fana bien vite ; elle tenait trop du passé. Pour que l’anglicanisme lui-même, cette doctrine si chère à M. Kingsley, et dont il nous semble qu’il voit la réalisation la plus complète à cette époque, pût s’établir définitivement, il fallait qu’une grande partie de ces belles choses mourût, car beaucoup d’entre elles étaient des produits directs du catholicisme, et elles devaient s’évanouir sous le souffle de la réforme. Nous différens donc entièrement, à cet égard, d’opinion avec M. Kingsley. L’honorable écrivain croit que cet éclat remarquable est dû au protestantisme : si l’Angleterre d’alors a été si florissante et si pleine de génie, c’est qu’elle était profondément protestante ; si ses marins ont été victorieux, c’est qu’ils étaient imbus de sentimens bibliques. Il y a beaucoup à dire sur tout cela. Si l’on envisage ses succès extérieurs, l’Angleterre, il est vrai, a triomphé à cette époque parce qu’elle était protestante : c’est grâce à son protestantisme qu’elle a triomphé de l’Espagne ; mais si l’on envisage sa civilisation intérieure, ses manières et ses mœurs, sa littérature et sa poésie, la question change d’aspect. L’éclat de la civilisation anglaise à cette époque est dû au passé ; c’est le dernier et suprême reflet d’un soleil qui se couche aux derniers jours de l’automne. Le règne d’Elisabeth, c’est l’automne du catholicisme anglais, l’automne du moyen âge anglais. L’automne des mœurs, des sentimens et des idées que le catholicisme et le moyen âge avaient déposés dans l’esprit et le cœur de la nation anglaise.

Cependant, malgré sa manière trop exclusive à notre avis d’envisager le règne d’Elisabeth, M. Kingsley est d’une rare impartialité ; il ne dissimule ni les défauts, ni les vices de ses héros. Les personnages du temps revivent bien avec leur bravoure et leurs faiblesses, leur foi et leurs superstitions. Le tableau de cette singulière époque se déroule sous nos yeux avec son caractère compliqué de vestiges de barbarie et d’extrêmes raffinemens. Ruines et personnages du moyen âge, sorcières, alchimistes, savans qui ont parcouru le monde, cavaliers qui ont vu l’Italie, Anglais qui n’ont jamais quitté le sol natal,