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dissident n’embrasse pas assez. L’anglicanisme seul est donc la forme de religion la plus vraie de toutes ; également éloignée des usurpations de Rome et de l’anarchie des dissidens, elle seule est une église nationale, elle seule est capable de l’être et méritait de l’être. L’église anglicane est pour la vie spirituelle de l’Angleterre ce que sa constitution est pour sa vie temporelle, et l’Angleterre se perdra, si elle l’abandonne. Si l’église anglicane tombe, il y aura sans doute encore des chrétiens ; mais, si nous pouvons parler ainsi, l’âme chrétienne de la nation n’existera plus. Telles sont les pensées, nous les nommerions mieux en les appelant les préoccupations, qui se laissent apercevoir dans cette vive, dramatique et amusante apologie de l’église anglicane, écrite sous l’influence toujours croissante d’idées qui ne sont rien moins qu’anglicanes. Emerson et Hennell, Strauss et Newman sont pour quelque chose dans cet anglicanisme militant, qui, depuis deux ou trois ans, est surtout devenu le génie inspirateur de M. Kingsley. Le spectacle de l’infidélité philosophique le rend plus défiant et moins accessible aux idées nouvelles. Il mure sa porte, qu’il avait entre-bâillée, comme s’il se repentait de l’avoir laissée un certain jour trop grande ouverte.

La pensée de Westward Ho ! ressemble beaucoup à celle qui a inspiré à Carlyle la publication des Lettres et discours de Cromwell. Pour faire honte à ses contemporains de leur irréligion et de leurs faiblesses, M. Kingsley a tracé une peinture du règne d’Elisabeth. L’époque est bien choisie. Reste à savoir s’il est dans la destinée des choses que de pareils momens d’éclat durent longtemps, et s’il est juste d’accuser ses contemporains de ne pas appartenir à une époque semblable. L’idée de Carlyle était bien meilleure et répondait bien mieux au but qu’il se proposait. Il voyait surtout dans les puritains et dans Cromwell des moyens de gouvernement et des principes moraux dont l’abandon lui paraissait avoir été fatal pour l’Angleterre. L’Angleterre, selon lui, n’a fait que péricliter depuis l’abandon des idées un moment triomphantes sous Cromwell. Les principes pouvaient durer comme tout ce qui est purement moral, ils avaient une existence indépendante des circonstances historiques ; mais le règne d’Elisabeth devait passer comme passent toutes les choses matérielles, et qui, devant leur existence à une combinaison d’élémens divers, sont réductibles par l’analyse philosophique à ces élémens premiers. Génie, allure d’âme et de caractère, mœurs générales, tout cela, fort brillant, était cependant transitoire. Le règne d’Elisabeth n’est point, comme l’époque de Cromwell, l’expression crue et brutale d’un nouveau principe ; c’est un résumé de tout le passé de l’Angleterre ; il est pour la vieille Angleterre ce que le règne de Louis XIV est pour la vieille France : c’est un produit du temps.