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premier venu. Le second caractère de ce siècle, c’est la grandeur. Tout y est monstrueux, rien n’y est mesquin ni vulgaire. Les contrastes les plus étonnans se développent en même temps dans les mêmes âmes. Barbares et souvent pleins de vices, les hommes du XVIe siècle sauvent ces imperfections par un raffinement, une élégance et une fierté d’allures qui sont presque inexplicables. Celui qui commet un crime digne du plus vulgaire scélérat est en même temps un gentilhomme d’une vie exquise et d’une incontestable grandeur d’âme. Ils rachètent tous leurs défauts par une sincérité et une naïveté que l’on n’a plus retrouvées depuis. Sans doute leurs actes nous étonnent et nous effraient, mais il est remarquable cependant que leurs pires crimes ne nous enlèvent aucunement la bonne opinion, l’estime et l’admiration que nous avons pour eux. Qui oserait traiter les ducs de Guise, coupables de tant d’actes ambitieux, de tant d’intrigues sanguinaires, de tant de projets patricides, comme de vulgaires criminels ? Qui oserait prononcer un mot contre les vertus de Calvin malgré le procès de Michel Servet et les persécutions contre le parti des libertins ? Ignace de Loyola a été pour la société moderne la source de bien des embarras : qui oserait lui contester le titre de héros, même de saint ? Tous ont l’excuse suprême qui rachète les péchés et les crimes, ils sont naïfs et naturels. Chez eux, rien d’alambiqué, de sophistique, de systématique ; ils suivent leurs instincts bons et mauvais, et écoutent les voix intérieures que la nature fait parler en eux. De là une grâce, une beauté et une force singulières qui enveloppent toutes leurs actions et toutes leurs paroles, grâce, beauté et force tout humaines, et qui ne doivent rien à la civilisation et à la société extérieure.

Si l’on veut se faire une idée de la nature humaine à cette époque, on n’a qu’à opposer au XVIe siècle le XVIIe, qui en est la contre-partie. Les vertus des hommes du XVIIe siècle se rapportent toutes à la société extérieure et n’ont qu’elle pour but. L’hôtel de Rambouillet et le règne de Louis XIV ont tout changé. On commence à s’inquiéter beaucoup plus de la civilisation que de la foi, de la société que de la vie, d’un but politique et temporel que d’un but idéal et éternel. Avec ces préoccupations mesquines, l’âme de l’homme s’est rapetissée et n’a plus cette majesté naturelle qu’elle avait au siècle précédent, où d’humbles moines, de pauvres prêtres, des aventuriers sans sou ni maille, de simples bourgeois pensaient et parlaient comme des rois. Le courtisan a remplacé ce roi naturel. Des règles ont été créées, qui ont établi les lois de ce qui est permis et de ce qui ne l’est pas. Des gens d’un esprit délicat, raffiné, ont fait un code de ce qui est convenable et de ce qui ne l’est pas. La nature, au lieu de couler librement, a dû circuler par mille canaux artificiels.