Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1075

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la hache et la pioche aux mains. Quelques menus plâtras tombèrent bientôt sous la fenêtre, puis une vaste ouverture se fit dans la muraille, et toute la briqueterie s’écroula. Un moment après, Tistet triomphant vint rejoindre le lieutenant dans la cour.

— Je crois que tu as été un peu trop loin, dit le lieutenant. Enfin ce qui est fait est fait. J’ai grand’soif ; allons nous rafraîchir. — Ils montèrent à l’office, et la journée se termina très gaiement, le verre à la main.

À la suite de cette petite débauche, le lieutenant dormit ses douze heures comptant, et sans doute qu’il aurait fait le tour du cadran, comme à son retour de la barricade, si la Zounet n’était venue lui tirer les draps et les couvertures. — Pourquoi me réveilles-tu ? dit-il ; je rêvais que j’étais à table avec tous mes amis. D’où vient donc que je me sens la bouche amère ? Cours me chercher un grand verre d’alicante.

— Oui, oui, dit la servante, et du vieux. — Elle revint, avec ses fioles bleues, et toute la matinée elle drogua son maître, comme s’il était très malade. Elle le fit déjeuner d’une soupe aux herbes et d’une purée ; toutes les fois qu’il se versait à boire un doigt de vin pur, elle se trouvait derrière lui la carafe à la main, et vivement elle lui noyait son vin à grande eau. Après ce maigre repas, M. Cazalis s’étendit sur sa chaise longue pour sommeiller à l’aise, comme c’était son habitude. À peine assoupi, il fut violemment secoué par la Zounet. — Or çà, qu’on se lève ; on ne dort pas à table, c’est défendu : ces longs sommeils vous épaississent le sang. Sortez : c’est l’ordre formel de Mlle  Blandine ; sortez, allez vous promener une heure ou deux, que je puisse battre mes fauteuils.

M. Cazalis appela Cascayot et lui ordonna de seller l’ânesse. La Zounet arriva à l’écurie pendant qu’on bridait la bête. — Pourquoi donc ? dit-elle ; qui de vous s’en va en voyage ?

— Moi, dit le lieutenant. Je m’ennuie fort ici, et je vais à Lamanosc me récréer avec mon ami Tirart.

— Ni Tirart, ni personne, et de longtemps. Vous, retourner à Lamanosc tout seul, pour y découcher encore et courir les rues avec tous les vauriens du pays ! Oh ! jamais, je vous le jure… Qu’on ramène l’ânesse au pré.

— Eh bien ! puisque c’est ainsi, dit le lieutenant, envoyez-moi chercher le sergent Tistet ; je le trouve fort aimable, et sa société me divertira.

— Tistet est un insolent, répondit la Zounet, et de sa vie il ne remettra les pieds à la Pioline. Je l’ai chassé ; qu’il ose y revenir !

Lui, à la Pioline ! J’aimerais mieux quitter la maison. N’y pensez plus. Si ma compagnie vous ennuie, allez-vous-en visiter les volières,