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et de la Mer-Blanche, ils ne sont pas à dédaigner sans doute ; mais la prohibition de cette denrée pourrait être prévue sans trop d’inquiétude, si l’Europe occidentale était assurée de recevoir, au moment de ses besoins, les blés de Pologne, ajoutés à ceux des principautés danubiennes et du Levant.

La grande question économique des subsistances en Europe se trouvera donc tranchée le jour où la question politique soulevée par l’état actuel de la Pologne aura pu être résolue. Qu’on imagine ce vaste et fertile territoire rendu à un régime sympathique pour la civilisation, ouvert à la colonisation occidentale, aux flots d’émigrans qui de l’Allemagne et de la Suisse se dirigent aujourd’hui sur le Nouveau-Monde. Une des plus belles parties de l’Europe orientale reprendra ainsi son véritable rôle ; le plateau de l’est, au lieu de devenir un poste avancé du système russe contre l’Occident, garantira l’Europe contre les épreuves de la disette, aussi bien que contre les menaces de l’invasion.

Tournons-nous vers la Russie maintenant, et en admettant que du côté de l’Europe occidentale, le système des tsars rencontrât de solides barrières, les véritables intérêts de cet empire seraient-ils bien compromis ? N’est-il pas évident au contraire que ce système est en opposition ouverte avec le progrès matériel comme avec le progrès moral des populations russes ? La paix étant conclue sur des bases qui limiteraient l’action extérieure de ce système, son action intérieure serait par là même allégée, et ce serait peut-être à la Russie, on va s’en convaincre, de s’en féliciter la première.

Au moment où le gouvernement russe rentrera dans l’ordre d’idées où le vrai sentiment de sa mission devrait l’appeler, il ne manquera pas de sonder dans toute son étendue l’imperfection de son état social et politique. Il aura devant lui une vaste perspective de réformes intérieures, auxquelles l’extension de limites rêvée par ses souverains créait un obstacle désormais disparu. Que fera-t-il ? La noblesse, perdant tout espoir de s’enrichir par les guerres, réclamera des compensations qui ne pourront, lui être accordées qu’aux dépens du pouvoir autocratique. Que l’empereur se résigne à des concessions, elle en exigera bientôt de nouvelles, C’est alors que le gouvernement autocratique devra se transformer ; mais, pour prix de ses concessions politiques, il pourra imposer à la noblesse une réforme non moins importante que celle du système politique qui régit l’empire ; nous voulons parler de l’affranchissement des serfs. Que le gouvernement ne perde pas de vue cette nécessité de l’affranchissement ! L’amélioration morale de la Russie sera la condition de la politique nouvelle qu’il devra suivre après la paix, et le premier pas vers cette amélioration est évidemment la suppression du servage. Pour le gouvernement russe, obligé de procéder ainsi à la transformation