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À cette conception doivent répondre l’accord des races latine et germanique, le rapprochement des nations catholiques et protestantes. — Que les intérêts slaves finissent eux-mêmes par abdiquer ou modifier leur caractère exclusif, et l’Europe se trouvera partagée en trois groupes dont le concert couronnerait dignement l’œuvre de notre siècle : — à l’est les Slaves, à l’occident, au centre et au midi les nations latines et germaniques. Cette conception de l’Europe chrétienne travaillant avec une ardeur nouvelle, par l’union de ses trois grandes races, au développement de toutes ses forces, cette conception d’ordre et de paix, si lointaine qu’on en suppose la réalisation, vaut bien la conception panslaviste des Russes, empruntée aux insurgés polonais de 1831 et accommodée par l’empereur Nicolas aux exigences du système absolutiste. Pour les Polonais, le panslavisme signifiait l’émancipation de tous les peuples d’origine slave obtenue par une entente commune. Pour le tsar, il ne s’agissait au contraire que de rallier d’abord sous son protectorat, et plus tard apparemment sous son empire, tous les rameaux de la race slave. Une fusion était impossible sur cette base entre des populations séparées par les intérêts religieux. Là seulement où la conformité de race s’unissait à la communauté de religion, le panslavisme russe avait quelque chance de succès, et même chez les Serbes et les Monténégrins, à la fois Slaves d’origine et grecs de religion, la sympathie pour l’alliance russe contre le Turc ne pouvait aller jusqu’à la soumission volontaire au régime autocratique.

En Orient, c’est une tâche de conservation que l’Europe aurait surtout à remplir. L’introduction du principe de tolérance dans les rapports entre nations musulmanes et chrétiennes assure à celles-ci un ascendant pacifique dont les bienfaisans effets n’en sont plus à se révéler. Les rapports entre l’Europe et l’Asie n’ont consisté pendant longtemps qu’en luttes sanglantes. Depuis plus d’un siècle cependant, la nation appelée surtout à représenter le mahométisme vis-à-vis de l’Europe comme vis-à-vis de l’Asie, cette nation est entrée dans une voie nouvelle. Les deux civilisations, chrétienne et musulmane, se sont trouvées assez longtemps en présence l’une de l’autre pour que la première réussît à exercer quelque action sur la seconde. Les plus intelligens parmi les musulmans ne méconnaissent pas la supériorité du système chrétien. Ils comprennent qu’il n’y a de salut, pour l’empire des descendans du prophète, que dans l’adoption de certaines institutions et de certaines découvertes de cette civilisation chrétienne qu’ils ont combattue avec fureur, et qui maintenant les déborde de toutes parts. On a commencé par imiter l’institution militaire de l’Occident, puis on a étudié ses sciences, on s’est approprié même son mécanisme financier. Aujourd’hui l’action