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— à l’intérieur dans ses tentatives de civilisation par la force, — à l’extérieur dans la voie des conquêtes. Plaçons-nous maintenant au lendemain de la guerre, dont nous venons de montrer le dénouement probable. À quelles conditions une nouvelle ère pourrait elle s’ouvrir pour la Russie et pour l’Europe ? Sans espérer résoudre une si haute question, on peut du moins l’examiner.


IV

La rentrée de la Russie dans le système pacifique entraînerait deux ordres de conséquences, les unes européennes, les autres spéciales à la Russie même. Les premières évidemment dominent les secondes, et doivent nous occuper d’abord.

Parmi les grands intérêts engagés dans la lutte actuelle, il en est deux auxquels la paix devra assurer une complète satisfaction : l’intérêt d’équilibre européen et l’intérêt de la civilisation et des idées occidentales, dont l’Europe doit tenir à faire prévaloir l’influence en Orient. Il est enfin un troisième intérêt sur lequel il importe d’éveiller l’attention générale. Une des forces de la Russie dont nous n’avons rien dit encore, c’est la supériorité de ce pays sur les autres parties de l’Europe comme producteur de céréales. Comment affranchir l’Europe de cette dépendance ? Tant que les besoins de l’alimentation la feront tributaire de la Russie, le système dont nous avons montré les côtés chimériques gardera des chances d’action trop réelles. Ainsi, outre le problème d’équilibre européen, d’influence occidentale ; en Orient, la lutte avec la Russie soulève une question alimentaire des plus graves, et trois ordres de faits devront préoccuper les puissances occidentales, si le dénoûment de la lutte actuelle est ici qu’il leur appartienne de dicter les conditions d’une paix durable : — les faits politiques, — les intérêts moraux, — les faits économiques.

Nous ne dirons qu’un mot des deux premiers ordres de faits. Ce serait s’éloigner du cadre de cette étude que de discuter les bases du nouvel équilibre qui pourrait succéder en Europe au système établi par le congrès de Vienne, et qui sera subordonné à des chances dont nul ne peut prévoir encore l’étendue. Ce qui paraît acquis dès ce moment, c’est la possibilité de continuer, à l’occident et au midi de l’Europe, le système d’alliances dont les premières bases sont jetées par l’union de la France, de l’Angleterre et du Piémont, et de former ainsi un édifice assez puissant pour résister à toute tentative de domination panslaviste. Le panslavisme russe consiste, on le sait, dans l’union de tous les rameaux de la race slave, des populations grecques et catholiques de cette race, en vue de la conquête du monde.