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par une taxation nouvelle le double du produit actuel, c’est-à-dire un surcroît de revenu de 10 à 12 millions de francs.

Le sel au contraire est surtout consommé par le pauvre paysan, qui le trouve déjà bien cher. Une augmentation d’impôt sur cet article de première nécessité serait donc impopulaire au plus haut degré. Il serait impolitique, sinon imprudent, de chercher à en retirer autre chose qu’un surcroît de revenu équivalent à celui de l’article précédent, c’est-à-dire 10 ou 12 millions de francs.

Quant aux patentes, si elles ne rapportent qu’une modique somme, ce n’est pas qu’elles soient faiblement taxées en Russie ; elles y sont au contraire fort lourdes, mais l’impôt ne pèse que sur les banquiers, manufacturiers, négocians et marchands proprement dits. Cette classe étant peu nombreuse comparativement aux états où l’industrie est plus développée, c’est cette infériorité numérique, et non pas la modicité des cotes, qui explique le faible chiffre du produit. Pour l’élever notablement, il faudrait étendre la taxe aux moyennes et infimes catégories de travailleurs qui la supportent dans d’autres pays ; mais cette mesure serait difficilement applicable : elle aggraverait le sort de plusieurs millions de trafiquans, la plupart serfs, et dont la condition touche déjà à la misère. Admettons toutefois que par extension ou élévation de la taxe des patentes on arrivât à en doubler le produit en temps de guerre. Le total de ces pénibles accroissemens de revenu tirés de l’impôt des tabacs, de celui du sel, de celui des patentes, serait de 36 à 40 millions de francs ; il y aurait à peine de quoi couvrir le déficit de la douane, évalué à 24 millions de francs pour 1854, et qui a dû aussi s’aggraver notablement en 1855. Ce ne sont point là, on le voit, des ressources sérieuses. Les présenter comme telles, ajouter que « en quatorze ans, de 1839 à 1853, les recettes ordinaires du budget russe ont offert un accroissement de plus de 36 pour 100 sans aucune augmentation des impôts existans, » c’est vouloir donner le change sur la réalité d’une situation dont il nous reste à montrer un des côtés les plus graves.

La principale source du revenu public en Russie est la ferme du débit des boissons, ou, suivant l’expression usuelle, la ferme de l’eau-de-vie. Ce produit net forme le tiers des recettes totales. Les contrats entre le gouvernement et les traitans de cette ferme productive sont périodiquement renouvelés à des époques assez rapprochées. Or, si dans le cours de quatorze années (de 1839 à 1853) ces contrats ont été renouvelés plusieurs fois, et chaque fois avec des augmentations considérables au profit du gouvernement, si pour obtenir ces augmentations le ministre a accordé aux traitans de nouvelles conditions d’où résulte une surcharge réelle pour les consommateurs, ces actes de gouvernement, cette série d’opérations