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sans doute usé qu’à leur profit, et peut-être même au détriment des classes inférieures. Les destins de la Russie ne permirent pas le succès de cette révolution aristocratique ; l’impulsion donnée par le fondateur de Saint-Pétersbourg était trop puissante cinq ans après sa mort pour ne pas arrêter au début même le mouvement de réaction dont l’ambition de la noblesse était la source principale

Jusqu’à Catherine à toutefois (1762-1796), Pierre n’eut que de faibles successeurs. Catherine reprit l’idée du grand tsar en s’efforçant de la décorer d’une auréole philosophique et philanthropique dont l’Europe du XVIIIe siècle fit grand bruit. Au fond, ce qui préoccupa cette princesse, plutôt allemande que slave, ce ne fut ni l’amélioration du sort de ses sujets esclaves, ni la réforme du clergé orthodoxe. Catherine n’eut qu’une pensée, conquérir et dominer : c’est au-delà des frontières de la Russie qu’elle porta constamment ses regards, c’est dans la politique extérieure qu’elle continua surtout la tradition de Pierre le Grand. On sait quelles annexions mémorables la Russie dut à ce règne fastueux. La malheureuse Pologne trahie plutôt que vaincue, la Crimée devenue un point d’appui pour des plans que l’Europe combat aujourd’hui sur ce même territoire, des empiétemens successifs en Turquie et en Perse, tels furent les résultats qui rattachèrent étroitement la politique de Catherine an système de conquête et de guerre imposé par les tsars à la Russie.

Sous le petit-fils de Catherine, Alexandre Ier, des principes plus modérés semblèrent prévaloir. Doué de sentimens plus délicats et plus honnêtes que ceux de ses prédécesseurs, Alexandre comprit dans quel état d’infériorité morale et intellectuelle se trouvait son peuple. Il s’en affligea comme homme et en rougit comme souverain. De fréquens séjours hors de son empire l’amenaient à comparer la situation de la Russie avec celle des autres états européens. Il voyait cette situation avec tristesse, presque avec désespoir. Il voulut sincèrement, et par les moyens les plus sages, travailler à la civilisation de son pays. Des essais de réforme furent tentés dans l’administration et dans le clergé. Alexandre songea même à l’émancipation des serfs. Il chercha aussi à favoriser l’influence de la civilisation occidentale dans son empire, soit en y attirant des étrangers, soit en permettant à sa noblesse d’étudier les autres pays et d’y faire de longs séjours. Ses intentions étaient bonnes, mais l’œuvre était immense, et son intelligence, malgré des qualités réelles, manquait de l’étendue et de la netteté qui conviennent à une pareille tâche. Alexandre échoua et mourut découragé, désespérant de la civilisation de la Russie et doutant de son avenir.

L’avènement de Nicolas rendit à la pensée de Pierre Ier toute son action redoutable. Concilier cette pensée avec les exigences de son