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ces faits hors de doute. On les attribue à l’interdiction de défrichement sans autorisation ; c’est lui faire trop d’honneur. En fait, on n’a pas défriché davantage, parce qu’on n’a pas eu beaucoup plus d’intérêt à défricher ; la formalité d’autorisation n’arrête que très peu d’intéressés, il arrive même assez souvent qu’on l’obtienne sans en faire usage. Ce n’est pas par là que notre capital forestier a dépéri, mais par les coupes multipliées et par les ravages de la dépaissance que l’interdiction de défrichement n’empêche pas, qu’elle aurait plutôt pour effet d’accroître. Nous avons à nos portes la preuve la plus évidente de l’inutilité absolue de cette restriction. La liberté de défrichement existe en Belgique depuis quarante ans, et bien que ce pays ait beaucoup plus de houille que nous, bien que la population y soit deux fois et demie plus pressée, bien que les terres arables y manquent et se louent trois fois plus cher, on n’a pas beaucoup plus défriché et on a planté encore davantage ; la Belgique a proportionnellement au moins autant de bois que la France. La plupart des propriétaires ont gardé et accru leurs bois, parce qu’ils y ont eu intérêt. Je vais plus loin, et je dis que si par des circonstances qui après tout sont possibles, les besoins de défrichement devenaient plus pressans, je ne sais pas comment on pourrait s’y opposer. L’utilité du défrichement suppose que, sur un point donné, il y a trop de bois et pas assez de terres arables ou de prairies, et qu’il est possible de mettre ce qui manque à la place de ce qu’on a de trop. Si par exemple un large défrichement était nécessaire pour faire cesser la disette actuelle de viande et de blé, et que tout fût prêt, capitaux et bras, pour l’exécuter, il y aurait folie à y mettre obstacle. Ce n’est là, pour le moment du moins, qu’une hypothèse sans réalité, mais qui montre que, dans aucun cas, le régime de l’interdiction ne peut se justifier. Rentrons dans le vrai. L’opération du défrichement et celle du reboisement sont sœurs ; elles se supposent l’une l’autre ; toutes deux ne peuvent s’accomplir que lentement. À mesure qu’une partie des taillis existans se transformera en futaie, une autre se défrichera ; à mesure que les bois s’étendront sur les montagnes et les mauvais sols, ils se retireront des terres fertiles et arrosables, qui peuvent produire de la viande et du grain, de manière à porter chaque lot de terre au plus haut point possible de production. La proportion s’établira d’elle-même, à l’aide du grand régulateur, le prix des différentes denrées, qui donne la mesure la plus exacte des besoins ; l’état y concourra pour sa part et l’intérêt privé pour la sienne, sans qu’il soit nécessaire de porter atteinte à la liberté de la propriété.

Parmi les applications de cette liberté, il en est une qui commence à prendre assez d’extension en Belgique et même en France, c’est le système des forêts temporaires. Quand un sol est stérile par lui-