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bois résineux peut très bien valoir autant et même davantage. Les individus isolés de ces puissantes familles peuvent même lutter jusqu’à cet âge contre l’intérêt composé à 5. C’est la plus belle des caisses d’épargne.

Après cent ans, l’intérêt n’est plus que de 1 à 2 pour 100, mais il est rarement à propos de dépasser ce terme ; les plus habiles forestiers fixent entre 100 et 180 ans, suivant la nature du sol, le meilleur point d’exploitation du chêne, de 80 à 100 celui du hêtre, de 90 à 120 celui du châtaignier, de 100 à 140 celui du sapin, de 100 à 120 celui du pin. Les futaies au-delà de cent ans conviennent aux grandes fortunes, elles sont le meilleur accompagnement des châteaux ; elles rapportent plus qu’une collection de tableaux, une belle meute, une écurie de chevaux de prix, et elles donnent autant d’honneur et de plaisir ; c’est le luxe de l’utile. Ainsi du moins pensent les grands propriétaires anglais, qui aiment à s’entourer d’arbres plus que séculaires, et qui croient par là faire un assez bon calcul, tout en ajoutant à la majesté de leur résidence. Le calcul devient tous les jours meilleur. La sylviculture n’a pas dit son dernier mot. Les progrès qu’elle a faits depuis quelque temps en font prévoir d’autres. La méthode dite de réensemencement naturel ou des coupes sombres et des coupes claires a été un grand perfectionnement. On peut en trouver de nouveaux ; on conçoit, par exemple, qu’en associant dans une juste proportion les essences à croissance rapide, mais courte, avec celles à croissance lente, mais longue, et en exploitant les unes et les autres à leur point, on puisse réunir les produits du taillis à ceux de la futaie.

N’oublions pas d’ailleurs que si la futaie fait passer momentanément une partie des revenus dans le capital, le taillis en revanche, quand il est porté jusqu’à l’excès, fail passer peu à peu le capital dans le revenu. Au bout d’un certain nombre de révolutions, surtout quand elles sont rapprochées, l’ensemencement naturel n’a plus lieu, faute d’un nombre suffisant de sujets assez vieux pour donner des graines ; les souches meurent, l’humidité, nécessaire à la croissance des jeunes arbres s’en va, les bois blancs se multiplient d’abord, puis s’évanouissent, le pacage achève ce que la multiplicité des coupes a commencé, et le taillis n’a plus aucune valeur. C’est l’histoire de beaucoup de bois en France. Bien des propriétaires peuvent dire connue La Fontaine :

Jean s’en alla comme il était venu,
Mangeant le fonds avec le revenu.

Et c’est ainsi que nous sommes arrivés, tout en conservant en apparence une immense étendue de forêts, à ne pas suffire aux besoins de nos industries.