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Par le commerce d’Astrakhan, la Russie a de continuelles relations avec la Perse et l’Inde ; c’est la première étape de la route qui peut conduire un jour les tsars au seuil des possessions anglaises. Aussi Persans et Hindous ne manquent pas dans la foule bigarrée qui remplit ce caravansérail. Il y en a de toutes les conditions. À côté du marchand d’Ispahan qui vient vendre ses étoffes, voici un ancien vizir du chah, exilé aujourd’hui pour avoir conspiré contre son maître. Il s’appelle Mirza Abdulla, et en souvenir du poste éminent qu’il a occupé naguère, il a. ajouté à son nom le titre de vezirof. Mirza Abdulla Vezirof est professeur de langue persane au gymnase d’Astrakhan. M. Hansteen, auquel le vizir déchu a adressé une magnifique épître tout ornée des fleurs de la rhétorique orientale, a pu savoir de lui bien des choses sur la situation intérieure de la Perse, — de même qu’il a entrevu un coin du tableau de l’Inde, grâce à ce misérable fakir, qui, depuis douze années déjà, vivait à Astrakhan au fond d’une lanière humide et dans une posture à se briser l’épine dorsale. — Ces Persans et ces Hindous, M. Hansteen les retrouve encore en Géorgie, dans cette presqu’île d’Apchéron, où de pieux solitaires passent leur vie en adoration devant un feu qui brûle toujours. Recueillons sur ce phénomène étrange les observations du savant norvégien.


« Ce feu éternel est peut-être une apparition unique sur la surface du globe. Le gouffre où il brûle présente l’aspect d’un ovale irrégulier dont la longueur est de cent vingt pieds environ ; il n’a guère plus de neuf pieds de profondeur. Ce sont presque partout des rochers qui forment les parois du gouffre. Le feu n’y brûle pas toujours avec la même intensité ; les flammes les plus hautes s’élèvent à dix-huit pieds. Cette combustion perpétuelle ne creuse pas le fond du sol et ne dissout pas les rochers du gouffre ; on voit seulement à la surface de la terre des débris de pierres calcaires amollies et brisées en morceaux. Ce feu ne donne ni fumée ni odeur. Les matériaux qui l’entretiennent se retrouvent dans toute la contrée à deux verstes à la ronde ; il suffit de creuser un peu le sol et d’en approcher un objet embrasé, soudain une flamme éclate, et elle continue de brûler jusqu’à ce qu’on la recouvre de terre. Il est vraisemblable qu’on pourrait éteindre le gouffre de la même manière et le rallumer aussi à volonté. Une chose digne de remarque, c’est qu’aux bords même de ce gouffre toujours brûlant on voit croître un gazon vert et vigoureux, et qu’on trouve à cinq cents pas deux sources d’une eau excellente avec un grand jardin d’une riche fertilité. Auprès du gouffre habitent constamment quelques adorateurs du feu ; les uns sont de mystiques Hindous, les autres sont tout ce qui reste des anciens Persans, obstinés disciples de Zoroastre, qui reconnaissent dans le feu en général un symbole de la Divinité. Ils vivent dans de petites huttes bâties tout autour du gouffre et seulement à quelques pas du bord. Au milieu de l’une de ces huttes, les ermites ont pratiqué un trou et l’ont recouvert de deux ou trois pierres sur lesquelles est placée une marmite ; c’est là qu’ils font leur cuisine. Ils allument un brin de paille et le jettent sous la marmite ; le feu prend