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églises arméniennes, une église luthérienne allemande, une église catholique à laquelle est annexé un cloître, dix-neuf mosquées mahométanes et un temple bouddhiste. Quel mouvement dans les rues ! quelle pittoresque diversité de costumes ! Ce sont des Russes, des Tartares, des Arméniens, des Géorgiens, des Allemands, des Anglais, des Persans, des Hindous, des marchands de Khiva et du Turkestan. La ville a plus de trente mille habitans à résidence fixe ; quant à la population flottante, elle est ordinairement plus nombreuse que l’autre et s’élève parfois à quarante mille âmes. Astrakhan est le centre d’un commerce immense avec l’Inde, la Chine, la Boukharie, la Perse, les provinces du Caucase, et toute la Sibérie. C’est là qu’on apporte la soie, le coton, les précieuses étoffes de l’Inde, les laines de Cachemire, les pelleteries de Tobolsk et d’Irkutsk, les tapis de la Perse, les vêtemens tissés à Boukhara, les peaux de mouton du pays des Tcherkesses, puis les haricots d’Ispahan, du miel, du maïs, du tabac, maintes productions de la terre ; on en exporte l’or et l’argent, le cuivre, le plomb, le fer, l’acier, le mercure, l’alun, le vitriol, le sel ammoniaque, la cire, le savon, le lin, le maroquin, toutes choses qui sortent des fabriques de la contrée.

Je ne puis me dispenser de placer ici un épisode qui fait connaître certaines singularités de l’armée russe. Lorsque M. Hansteen fut arrivé à Astrakhan avec ses trois compagnons, le lieutenant Due, l’interprète et le secrétaire, les autorités municipales lui indiquèrent, selon la coutume sibérienne, la maison où il serait hébergé. C’était la demeure d’un Arménien absent pour quelques semaines. Peu de temps après, un matin, quatre hommes fort grossièrement vêtus se présentent à la porte et demandent à prendre possession d’une partie de la maison. « Impossible, répond le secrétaire ; c’est à M. Hansteen et à ses compagnons que la police a assigné cette demeure. — Là-dessus, plaintes et clameurs furieuses, si bien que M. Due est forcé d’accourir pour prêter main-forte à l’interprète. La discussion devient plus vive, et l’un de ces étrangers, le plus violent dans ses propos, ayant fait mine de vouloir pénétrer malgré le lieutenant, celui-ci, à bout de patience, lui applique un soufflet. — Je suis un officier russe, s’écrie l’offensé, et vous me rendrez raison de cette insulte. — Si vous voulez que je vous traite en officier, répond M. Due, allez d’abord changer de costume, et surtout ayez soin de vous conduire comme il sied à ceux qui portent l’épaulette. »

L’officier russe et ses camarades s’en allèrent en grommelant ; M. Due croyait l’affaire terminée. « Le lendemain matin, dit M. Hansteen, j’entendis un bruit de conversation dans la chambre de mon ami ; j’entrai, et M. Due me présenta à deux officiers du génie, le colonel Rehbinder et le capitaine Küster. Ces messieurs étaient assis près de la fenêtre, et semblaient écouter attentivement un homme