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de diverses couleurs, mais leurs traits avaient quelque chose de raide, d’anguleux, et aucun sentiment doux ne se reflétait sur leur visage. Elles étaient petites et maigres. Les hommes de la tribu nous paraissaient beaucoup moins disgraciés de la nature, peut-être parce qu’on est moins exigeant pour la beauté physique de l’homme. Le prince était un personnage de haute taille, et les traits de son visage, qui attestaient son origine mongole, eussent été à peine remarqués dans une société d’Européens. Ces dames ne savaient pas le russe, il nous fut donc impossible d’échanger quelques paroles avec elles. Étaient-ce les femmes ou les filles de Tiumen ? Je l’ignore, mais certainement elles étaient de sa famille. »

Ces Kalmoucks, dont les steppes s’étendent sur les confins de l’Asie et de l’Europe, sont les dernières tribus nomades que M. Hansteen ait rencontrées dans la Sibérie inférieure. Nous voici rentrés avec lui dans la Russie européenne ; mais serait-ce nous écarter de notre sujet que de suivre notre guide à Astrakhan ? Je vois là, bien au contraire, un complément indispensable du tableau que nous traçons d’après le savant astronome de Christiania : le rôle que la Russie remplit auprès de la Chine dans les provinces méridionales de la Sibérie, elle le remplit ici auprès de la Perse.

Astrakhan, l’une des cités les plus considérables de l’empire, est situé sur une des îles du Volga à quelques verstes de l’embouchure du fleuve. Autrefois les eaux de la mer s’approchaient davantage, mais le sable qu’elles déposent sur les côtes a formé peu à peu une multitude de petites îles, si bien que le Volga divise ses eaux en plus de soixante-dix bras avant de les jeter dans la Mer-Caspienne. Ce delta est occupé par des Tartares qui, à l’aide de digues et de canaux, font serpenter les eaux dans leurs prés, dans leurs champs, et obtiennent de merveilleux produits ; on cite surtout les melons et les vignes. Ces fils des conquérans barbares ne sont pas seulement d’habiles agriculteurs, ils excellent, dit-on, à imiter les vins les plus renommés de l’Europe. M. Hansteen a bu du vin de Champagne fabriqué par les Tartares du Volga, et il croit pouvoir affirmer que les caves de Reims n’en fourniraient pas de meilleur. Accordons, si l’on veut, que la surprise bien naturelle du voyageur a dû le disposer à l’indulgence ; n’est-ce pas un singulier renseignement que cette reproduction de nos délicatesses par ces peuples à demi sauvages ? La ville n’est pas indigne de l’opulente beauté du delta ; il en est peu dont l’aspect soit plus original et plus varié. Astrakhan est défendu par une vieille forteresse de forme triangulaire. Elle est le siège d’une amirauté et d’un comptoir général pour la pêche. Deux évêques y résident, un évêque gréco-russe et un évêque arménien. On y compte cinquante-cinq églises grecques, un cloître de moines, un couvent de religieuses, un séminaire de popes, deux