Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/965

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

particulière. Ce palais si commode n’a pas encore fait oublier au khan des Kirghises les habitudes séculaires de sa race ; il ne l’habite que pendant l’hiver, et dès qu’un souffle de printemps a fait fondre les neiges, il reprend son existence nomade. Le khan n’a plus alors d’autre demeure que sa kibitke, transportée par les chameaux de l’occident à l’orient et du nord au sud de la steppe. M. Hansteen partage les goûts de Dschanger-Khan. « Dès que l’été, dit-il, permet d’enlever les garnitures de peaux qui couvrent la partie inférieure de la kibitke, il n’est pas de maison de pierre ou de bois qui vaille la demeure vagabonde du Kirghise. »

M. Hansteen fait pourtant une description très agréable de ce palais d’hiver élevé à Dschanger-Khan par la munificence du tsar. C’est une belle maison spacieuse et commodément distribuée, qui est à la fois la demeure du souverain et l’hôtel du gouvernement. Il y a là de grandes salles où siègent les conseillers du khan ; il y en a d’autres consacrées aux voyageurs, selon la coutume de l’hospitalité orientale. Les chambres sont ornées de toutes les élégances européennes ; de brillantes tapisseries les décorent, de grandes glaces sorties des fabriques de France sont suspendues aux murailles, de moelleux tapis de Perse recouvrent les planchers. M. Hansteen remarqua même un piano et un billard. C’est dans cette jolie habitation que le khan des Kirghises reçut nos voyageurs. M. Hansteen, M. Due et leur suite furent présentés au souverain quelques heures après leur arrivée. « Nous trouvâmes en lui, dit le savant norvégien, un brillant jeune homme de vingt-sept ans, plein de politesse, de bienveillance et d’esprit, avec une dignité naturelle et une figure particulièrement douce. » Ses yeux et son teint indiquaient son origine mongole. Il avait été élevé à Astrakkan ; il parlait et écrivait le tartare, l’arabe, le persan et le russe avec une égale facilité. La géographie et même l’astronomie ne lui étaient pas étrangères, comme l’attestaient un atlas ouvert dans sa chambre, ainsi qu’une sphère céleste en cuivre, imprimés tous deux en caractères arabes. Il était vêtu à l’orientale avec un large pantalon de velours violet, un caftan de même étoffe et de même couleur garni de tresses d’or, un second caftan plus long qui flottait sur l’épaule, et une espèce de turban surmonté d’une aigrette. Son pantalon venait s’attacher sur des bottes fabriquées à l’européenne, et une petite épée, dont la poignée étincelait de pierres précieuses, pendait à sa ceinture. Il portait au cou, attachée avec un large ruban rouge, une médaille entourée de brillans sur laquelle était gravé le portrait du tsar Nicolas. Le tsar lui avait donné pour secrétaire, peut-être aussi pour surveillant, un lieutenant de l’armée russe,

Dschanger-Khan s’était marié d’abord avec une Kirghise qui lui avait donné un fils et était morte peu de temps après. Il se crut