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applaudissemens des peintres, les importantes commandes des riches et des grands s’expliquent d’elles-mêmes. Haydon et ses ouvres étaient la mode du jour, et, comme il arrive toujours quand la mode s’en mêle, un acheteur amenait d’autres acheteurs; mais, comme il arrive également en pareil cas, l’impression du jour était souvent démentie par celle du lendemain; ce qui avait séduit à première vue apparaissait plus tard sous un aspect bien moins flatteur. De là les gémissemens si fréquens du pauvre Haydon sur le dédain et l’indifférence avec lesquels on traitait les productions de son pinceau. Pourtant sa vanité était toujours debout pour lui épargner la plus cuisante des blessures : la conscience de son propre démérite. Loin de s’accuser lui-même, il rejetait toute la faute de ses échecs sur le mauvais goût du public, sur l’intrigue ou sur l’envie. Rien ne put faire tomber de ses yeux les écailles de l’amour-propre; rien ne put l’amener à reconnaître que l’on s’était trompé d’abord, et qu’à la fin on s’était détrompé. Les désappointemens, en se multipliant, provoquèrent de sa part des plaintes plus habituelles contre l’injustice et l’iniquité dont il était la victime; ils n’ébranlèrent point sa croyance en son propre génie, ils ne diminuèrent point sa confiance en lui-même: jusqu’au bout, il ne trahit aucun doute. La fin de son hallucination fut la fin de sa vie.

Il va sans dire que cet aveuglement doit l’acquitter de toute imputation de charlatanisme. Sa carrière, avec tant de promesses pompeuses d’où il ne sort que du vent, a beau ressembler de près à celle du jongleur, le trait essentiel de la fraude ne s’y retrouve pas. Il ne savait pas qu’il exploitait l’ignorance publique; il était sa propre dupe avant de duper les autres. Il faut se rappeler en outre et il faut aussi lui compter comme une circonstance atténuante la quantité et la qualité souvent imposante des flatteries qui lui furent prodiguées. Il eut de l’encens de tous les côtés; mais de nul côté il ne lui en vint tant et de si extravagant que des littérateurs ses amis, au nombre desquels figuraient des personnages de grande célébrité. Les vers écrits à sa louange par Wordsworth, Keats, Charles Lamb, miss Barrett, miss Mitford et leur suite poétique, les mots et les billets complimenteurs de sir Walter Scott, Campbell, Johanna Baillie, Rogers, et de bien d’autres sommités que le peintre avait appris à estimer d’après leur position littéraire, ne pouvaient manquer de flatter largement sa manie. Dans ses mémoires, il a rassemblé toute une moisson de pareils témoignages qui sans doute attestent la bonne volonté de ses amis, mais qui, pour l’esprit plus froid de ses lecteurs, révèlent aussi la grande infirmité de son propre caractère et l’ignorance absolue de ses admirateurs en matière de beaux-arts.