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d’ouvrir le ciel était entre nos mains, c’est aux bons pères et aux bons maris que nous réserverions l’auréole. Ils sont malheureusement assez rares pour mériter l’adoration, et leurs devoirs semblent déjà trop hauts pour la généralité des hommes tels qu’ils sont. Dans quel creuset nos évangélistes modernes du progrès comptent-ils raffiner l’humanité pour la préparer à l’état de perfection qu’ils lui annoncent? Comment comptent ils remplacer le mariage avec ses obligations, ses fusions, ses influences fortifiantes et purifiantes? Nous ne le devinons pas. En attendant les miracles, ceux qui soutiennent dignement le rôle de chef de famille auront notre estime et notre amour, et tant que la société tirera ses meilleures inspirations et ses meilleures lois des vieux et tendres liens du foyer, nous les regarderons comme les piliers les plus solides de son existence et de sa prospérité. Nous tenions à rendre cet hommage au beau côté du caractère de Haydon; en ne le faisant pas, nous aurions cru manquer à la justice, et certainement nous aurions manqué à nos propres sentimens. Toutefois l’homme privé n’est pas ce qui doit nous retenir; nous avons surtout affaire au peintre et au critique d’art, et il faut revenir d’abord au peintre pour achever d’apprécier ce qu’il a voulu être, ce qu’il a été.

On a vu le bruit que Haydon avait fait de son vivant, et nous avons dit aussi comment il nous était impossible de lui accorder, sur la foi d’une telle preuve, des mérites qui ne se montraient nulle part. Quelques lueurs, quelques disjecta membra de sentiment plastique, voilà tout ce que nous avons pu reconnaître dans ses œuvres. Encore ces lueurs n’apparaissent-elles avec un peu de clarté que dans les écrits de Haydon. Là elles s’isolent en quelque sorte, et l’attention s’y arrête sans être frappée du même coup par les bévues et les barbarismes; mais, dans ses tableaux, il faut en quelque sorte deviner les parcelles de bonnes intentions qu’il a pu avoir. Ces parcelles sont mêlées à tant de choses choquantes ou communes, à tant de preuves d’aveuglement, et le résultat est toujours tellement incomplet, que, parmi les productions qui comptent, il n’a pas droit même de figurer au plus humble rang. Sans doute il est naturel de voir plus loin qu’on ne peut atteindre, de distinguer des perfections qu’on peut indiquer la plume à la main et qu’on est pourtant incapable de reproduire. Cela est arrivé à Haydon, et en cela il n’a fait que subir la loi commune, qui atteint également l’artiste supérieur; mais le véritable artiste, s’il est souvent faible et incompétent, ne donne pas brutalement à côté : il ne va pas jusqu’à contredire tout sentiment, et Haydon est allé jusque-là.

Ce qui se fait le plus remarquer dans ses peintures, c’est une grande adresse de main déployée sur une grande échelle. La