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prétentions et de grossièretés qui ne faisaient que parodier les qualités d’ordre supérieur.

En jugeant aussi sévèrement les prétentions de Haydon, nous ne voudrions pas laisser croire que nous lui refusons toutes les facultés de l’artiste. En matière de forme et d’effet, il avait sans contredit certaines perceptions assez droites; mais en général ses aperçus les plus justes restent vagues et incomplets, et les saines données de ses productions sont toujours amalgamées avec une multitude de contre-sens, d’inconvenances et de conséquences fausses. Ce ne sont guère que des bribes de bonnes idées, qui produisent (soit dit sans irrévérence) l’effet des pièces neuves sur un vieil habit; elles ne rendent que plus sensible l’incohérence de leur entourage.

A partir de sa première tentative pour se produire, Haydon ne s’accorda, pour ainsi dire, aucun repos. La peinture, tout en continuant à être l’objet de ses préférences, fut loin d’absorber toute son attention. Il se fit imprimer, comme nous l’avons dit, et cela fréquemment. Il écrivit sur des questions qui sortaient de sa spécialité, comme sur des questions qui y touchaient. Il quitta le cabinet pour donner des cours sur l’art; il ne cessa pas enfin de s’agiter sous les yeux du public. Avec une énergie physique assez grande pour faire les frais de ces fatigues, une vanité qui ne donnait pas lui en donna le courage, et, à force de vanité, il finit par s’élever à un degré considérable de célébrité, en dépit d’une suite d’œuvres dont aucune, — écrit ou tableau, — ne peut soutenir un sérieux examen : nouvel exemple, après mille autres, de l’incompétence absolue des jugemens populaires. Malgré nous et malgré l’indignité de !a comparaison, le bruyant acteur nous fait songer à ces solliciteurs en plein vent, que l’on voit dans les rues tout hérissés d’instrumens, cymbales, grosse caisse, flûte et grelots, et se démenant de tous leurs membres pour attirer par leur tapage le regard des passans. Nous hésitons d’autant moins à évoquer une image aussi basse que l’homme auquel nous l’appliquons s’est montré entièrement dénué de scrupules et de délicatesse.

A l’appui de cette accusation, il nous serait facile de multiplier les preuves, en puisant au hasard dans les propres aveux de Haydon; mais une seule ligne de sa main, entre mille, sera suffisante. Après avoir fait allusion à un de ses Mécènes envers lequel il s’était conduit avec insolence, et après avoir parlé de sa polémique dans les journaux à propos du grand art, ce qui voulait dire sous sa plume mon art à moi, Haydon écrit ces mots dans son journal : « Il est clair qu’en faisant ainsi un éternel tapage, je réussis à tenir en éveil l’attention publique. » Cela est franc et sans artifice. Il y a une naïveté qui vient de l’absence de toute malice, mais il en est une