Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du costume moderne : on aura une de ces entrées en scène comme les entendait Molière, où le personnage de la comédie se révèle tout entier aux premiers mots qu’il prononce.

La verve comique se mêle donc, dans les fables de l’Hitopadésa, à la fable elle-même, aux sentences les plus sérieuses et aux maximes les plus graves. On dirait une moralité en action où les personnages, ôtant à tout propos les masques d’animaux qui recouvrent leurs visages, raisonnent, rient et déclament comme des hommes. À travers le brahmane que la personnalité égare souvent et que l’esprit de caste entraîne dans les régions du paradoxe, on aperçoit dans l’auteur de l’Hitopadésa deux hommes bien distincts, — le moraliste et le poète. Dans les apologues ainsi entendus, la raison et la fantaisie se donnent la main et marchent côte à côte, comme on voit dans la clairière de la forêt, au bord d’un ruisseau, le vieux brahmane qui passe conversant avec son jeune disciple au gazouillement des oiseaux. L’âge a donné de l’expérience au moraliste indien ; il y a du Théophraste, de l’Ésope, du Plaute, du Juvénal, du Rabelais même dans ces fables où l’humanité se montre sans voiles, avec ses faiblesses et ses misères ; il y a aussi ce que le dessinateur Grandville avait su mettre dans ses illustrations des chefs-d’œuvre de La Fontaine, — des trésors de verve et d’imagination, — d’où il résulte que Platon, qui tolérait Ésope dans sa république, en eût chassé probablement le pandit Nârâyana.


III.

Les deux derniers livres de l’Hitopadésa, qui traitent de la paix et de la guerre, offrent le même intérêt que les deux premiers au point de vue de l’apologue ; mais le côté moral présente un aspect tout à fait étranger à nos habitudes littéraires. Quoi de plus bizarre à nos yeux que de faire de la politique et de la diplomatie pratiques sous le voile de la fable ? Grâce au procédé employé par l’auteur, et qui consiste à mettre dans la bouche des personnages un grand nombre de stances dogmatiques, l’enseignement de ces deux sciences si hautes et si profondes se déroule librement. Il faut convenir d’ailleurs que dans l’Inde la politique est peu compliquée. Le roi s’occupe le moins possible du gouvernement, dont il confie tous les détails à son ministre ; choisir le moins mal possible cet intendant suprême, chargé du maniement des deniers publics, tel est à vrai dire le seul problème que le souverain ait à résoudre. « Le roi est fait pour s’amuser et non pour s’occuper d’affaires, » a dit un écrivain