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ont droit, comme eux, de réclamer une étude attentive; s’ils n’ont entre les mains qu’un instrument imparfait, leur pensée n’encourt pas le même reproche.

Le premier peintre de l’école allemande qui appelle notre attention est M. Pierre de Cornélius. Quoi qu’on puisse penser de son talent d’exécution, il faut commencer par reconnaître qu’il résume avec une fidélité singulière tous les vœux, toutes les espérances de ses compatriotes dans le domaine esthétique. M. de Cornélius est doué d’une rare finesse, personne ne songe à le contester; mais peut-être demande-t-il à la peinture ce que la peinture ne saurait donner, je veux dire l’expression de pensées que la peinture ne peut aborder directement. L’idée que j’énonce se présente naturellement, quand on prend la peine d’étudier les cartons du Campo-Santo de Berlin. Il est facile de voir que l’auteur s’est nourri de la moelle des œuvres les plus exquises, qu’il n’ignore aucune des ruses de son métier. On sent qu’il est armé de toutes pièces, et qu’il ne recule devant aucune difficulté. Seulement il est permis, en regardant ses cartons, de croire qu’il s’abuse sur les ressources du pinceau. Le programme qu’il a choisi pour le Campo-Santo conviendrait à la poésie plutôt qu’à la peinture. Les sept anges versant les coupes de la colère divine sur la terre et les eaux, sur la mer, sur le soleil et dans l’air, c’est là sans doute une vision dont l’imagination de Dante ou de Milton s’emparerait volontiers, et qui se prêterait à de riche développemens entre les mains de ces deux génies prédestinés; mais un tel sujet est-il du domaine de la peinture? La couleur peut-elle rendre tous les rêves enflammés de Pathmos? Les plus fervens admirateurs de M. de Cornélius peuvent en douter. Il y a dans cette vision quelque chose qui se dérobe à tous les efforts du crayon, et que la palette la plus opulente ne traduira jamais que d’une manière imparfaite. M. de Cornélius n’est pas de cet avis, puisqu’il a puisé dans l’Apocalypse aussi librement que les peintres de la renaissance dans la Genèse et l’Évangile.

Le second sujet qu’il aborde n’est pas moins périlleux que le premier, et soulève des objections non moins graves. La destruction du genre humain par l’envoi des quatre cavaliers, la Peste, la Famine, la Guerre et la Mort, — est-ce là une donnée que la peinture puisse mettre en œuvre? N’y a-t-il pas dans la pensée de l’apôtre visionnaire un élément qui défie tous les efforts du pinceau? — La nouvelle Jérusalem descend, portée par des anges, comme une épouse qui s’est parée pour son époux; autre thème choisi par M. de Cornélius. A qui fera-t-on croire que de telles pensées puissent arriver à l’esprit en passant par les yeux? Si nous ignorions les origines de l’école allemande, si nous ne connaissions pas le génie d’Albert